
« Scènes de la vie conjugale » : un TG STAN bizarrement exsangue au Théâtre de la Bastille
Que s’est-il passé ? Si peu de choses surgissent de l’adaptation de l’œuvre d’Ingmar Bergman qu’on en reste déçu et désolé pour la grande compagnie flamande. Reste leur talent habituel et leur capacité d’écoute qui touche au sublime, mais qu’on regrette de ne pas voir se déployer davantage.
[rating=2]
Un comédien massif et barbu –Frank Vercruyssen– passant de la bonhommie au tragique, du naturel le plus simple à l’intense le plus engagé, avec un égal bonheur ? Super. Une comédienne –Ruth Vega Fernandez– à fleur de peau, jamais dans l’excès, pour lui tenir tête ? Super. Une mise en scène réduite au plus simple, dans laquelle ce qui compte est l’expression de l’humain sur scène ? Super. Des accidents de jeu et de texte tous mis en évidence, soulignés, et en définitive, pleinement assumés ? Super. Des films d’Ingmar Bergman comme matériau de départ ?… On pourrait continuer longtemps. Il manquerait toujours quelque chose. Au long des deux heures vingt qui composent ce spectacle du TG STAN –collectif de comédiens flamands jouant en plusieurs langues dont Frank Vercruyssen est membre- la substance s’épuise jusqu’à ne plus rien donner.
C’est que l’uniformité guette. Et elle finit par emporter le morceau. Scènes de la vie conjugale est l’adaptation des films réalisés en 1973 par Ingmar Bergman : au choix, un film de cinéma de deux heures quarante-cinq, ou une version télé de cinq heures. Un couple, Johan et Marianne, se déchire pendant des années car Johan a fini par tomber amoureux de Paula, femme très jeune qu’on ne verra jamais. Que racontent les scènes ? Tentatives pour renouer, signature de papiers de divorce, liaison qui reprend entre les ex époux… Chez Ingmar Bergman, on ne s’en sort pas.
Ici, nos duettistes font le pari d’un naturel total et d’une interprétation au présent. Dès qu’ils trébuchent, ils assument et transforment l’essai : une bafouille, et ils s’apostrophent. Idéal laisser émerger de la vie. Le public rit d’ailleurs, à ces moments. Au début cela fonctionne: une présentation d’eux-mêmes forte, où l’on pressent une suite explosive, puis un film projeté, superbement réalisé, dans lequel jouent deux autres comédiens membres du collectif, dont Jolente de Keersmaeker. On sent un vertige. Vient ensuite la scène de l’annonce du départ de Johan, pleine d’intensité, puis son retour un an après, puis le divorce, puis…
Quelque chose se perd en route. Les comédiens ont beau faire ce qu’ils peuvent pour rester dans l’intériorité –Frank Vercruyssen lâche tout à certains moments, et ça fait très mal, mais seulement au début- avaler de la boisson alcoolisée, en petite quantité mais de façon régulière –sans faire de prosé(thy)litisme, on dira qu’ils ne boivent pas assez, sur ce spectacle-là- et rendre le texte tragiquement drôle par moments, les scènes se suivent et finissent par se répéter. On ne le sent pas, le poids des années terribles sur ces deux êtres humains. Tout finit par devenir artificiel, et on a l’impression de voir un réel truqué, faussé. Bien qu’ils nous invitent à croire au caractère humain, uniquement humain, et pas théâtral, de cette histoire, on ne quitte plus son fauteuil de théâtre. Et la capacité d’écoute des deux interprètes à l’affût de tout, qui devait nous transporter dans une intimité douloureuse, nous laisse à la surface, à admirer un spectacle beau, juste beau. Rageant.
Visuel: photo du spectacle Scènes de la vie conjugale © Dylan Piaser