Beaux-Livres
« Carnets 1955-2001 » d’Ingmar Bergman : Scènes de la vie artistique

« Carnets 1955-2001 » d’Ingmar Bergman : Scènes de la vie artistique

16 April 2023 | PAR Julien Coquet

Après avoir publié les carnets du réalisateur japonais Ozu, Carlotta Films fait paraître les carnets d’Ingmar Bergman.

Listons quelques chefs-d’œuvre de Bergman : Fanny et Alexandre, Scènes de la vie conjugale, Persona, Les Fraises sauvages, Le Septième sceau, Cris et chuchotements, Sonate d’automne… Bergman continue de fasciner, et son œuvre d’inspirer. Réalisateur de théâtre, metteur en scène de théâtre, d’opéra, l’homme a de multiples casquettes, d’où l’intérêt de se plonger dans la tête de cet homme à l’œuvre prolifique récipiendaire d’un Ours d’or, d’un Lion d’or pour sa carrière, d’un Prix du jury et d’un Prix de la mise en scène à Cannes…

Ces Carnets avaient été légués par le réalisateur à l’Institut suédois du film. La Fondation des archives Bergman, maintenant propriétaire du texte, les a publiés en 2018 pour les cent ans du cinéaste. Couvrant la période 1955-2001, du succès de Sourires d’une nuit d’été qui remporte le « prix de l’humour poétique » au festival de Cannes en 1956 à 2001 et son travail sur Sarabande. L’édition de ces carnets, massive (1072 pages !), est extrêmement bien pensée. Chaque année se voit introduite par une présentation qui fait office de mise en situation, indiquant sur quels projets (film, opéra, théâtre) travaille le réalisateur, où il se trouve, les moments personnels marquants… Le texte est accompagné de notes de bas de page servant à préciser la pensée de Bergman.

Les Carnets sont un matériau riche car « Bergman se plie à une discipline stricte qui consiste, dans un premier temps, à consigner sans retenue les mouvements de son inspiration et les idées de scénarios qui le traversent, de manière à les « capturer » avant qu’ils ne s’envolent. » (Jean-Baptiste Bardin). Mais l’inspiration n’est pas toujours là, alors que Bergman lui, est toujours assis à son bureau. Plutôt que de sauter cet exercice contraignant, Bergman s’astreint à écrire sur lui et les choses de la vie (et notamment ses démons).

L’écriture des carnets, brouillonne, est un exercice ludique pour Bergman, qui s’amuse à passer d’une pensée à une autre, d’une idée de scénario à des songes (« Les rêves sont difficiles à écrire, on tombe vite dans l’arbitraire, dans les fadaises. »). Et comme le fait remarquer Jean-Baptiste Gardin, « ces carnets sont bien plus qu’un brouillon de l’œuvre définitive » : l’écriture des scénarios, si elle se fait presque sans rature, est le pendant de l’écriture des carnets, tant l’exercice est difficile et douloureux. Les Carnets permettent à Bergman de discuter avec ses personnages, d’esquisser des scénarios qui ne verront pas le jour, de se questionner sur la pertinence de son travail (« Je me demande maintenant si la machine n’est pas cassée et si ce sentiment incertain d’enfermement ne va pas perdurer. »).

Note du 29 avril 1970 :
« Père est mort, dimanche, à quatre heures vingt de l’après-midi. Il est parti sans souffrance. Edit et le professeur Schwartz se sont occupés de lui. Je l’ai vu une heure plus tard. Je ne saurais décrire ce que j’ai ressenti en voyant son visage : il était méconnaissable et j’ai tout de suite pensé aux photographies des victimes des camps de concentration. C’était le visage d’un mort. Je pense à Père avec une sorte de tendresse désespérée. Quoi qu’il en soit, et quelle qu’en soit la raison, je me sens épouvantablement seul à présent. Parlons d’autre chose. »

Carnets 1955-2001, Ingmar BERGMAN, traduit du suédois par Jean-Baptiste Bardin, Carlotta Films, 1072 pages, 59 €

Visuel : Couverture du livre

« Mediator. Un crime chimiquement pur » d’Eric Giacometti, Irène Frachon et François Duprat : Servier, scandale d’Etat
« Kalmann » de Joachim B. Schmidt : Un village islandais
Julien Coquet

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration