« Une histoire de Cinéma de quartier » de Sylvain Perret : Retour sur une émission culte
De septembre 1990 à décembre 2007, sur Canal Plus, Jean-Pierre Dionnet a redonné ses lettres de noblesse au cinéma bis. Le livre de Sylvain Perret retrace amoureusement l’itinéraire des deux émissions, Cinéma de quartier et Quartier interdit.
Youtube héberge aujourd’hui un nombre important de chaînes pour découvrir des pépites méconnues ou se forger une solide culture cinématographique : l’émission Arte « Blow up », la chaîne Calmos pour s’interroger sur la comédie française, le youtubeur Azz l’épouvantail pour se pencher sur le cinéma d’horreur… Et auparavant, quelques émissions télévisuelles remplissaient les mêmes fonctions. Ainsi, La Dernière séance, présentée par Eddy Mitchell de 1982 à 1998, remit en lumière une grande partie du cinéma américain, et particulièrement les westerns.
C’est d’ailleurs en réaction à cette émission que naît Cinéma de quartier. Après quelques discussions avec Pierre Lescure, Jean-Pierre Dionnet monte une émission sur Canal Plus centrée sur le cinéma européen (Eddy Mitchel détestait les films de Sergio Leone). En décembre 1990 se lance donc Cinéma de quartier avec, pour premier film, Les Titans (1962) de Duccio Tessari. Chaque mercredi matin (l’horaire changera plus tard), Jean-Pierre Dionnet déniche une pépite du cinéma bis européen, à un horaire tout public, l’empêchant de diffuser des films interdits aux moins de 12 ans.
Si Cinéma de quartier marque une génération, c’est avant tout par le ton des présentations de Jean-Pierre Dionnet, qui présentera presque toutes les émissions, remplacé quelques fois par Jean Teulé. Avant la diffusion du film, Dionnet remet en contexte le péplum, le film d’horreur, le western italien, etc. Comme le confesse Bertrand Mandico en préface : « Cinéma de Quartier et Quartier Interdit furent une école de cinéma tortueuse, combinant la nostalgie populaire, le mauvais goût, le genre, le sous-genre, le cinéma de papa-psyché, les films orphelins ou malades, les expérimentations de la nouvelle vague, les grands cinéastes égarés, les petits maîtres tordus, les films d’aventures surannés, le cinéma de la cruauté, le post-surréalisme, les films sans frontières, les corps bafoués et j’en passe… »
Pour preuves, le public découvrira ainsi Le Comte de Monte-Cristo (1954) de Robert Vernay, Romulus et Rémus (1961) de Sergio Corbucci, Hercule contre les vampires (1961) de Mario Bava… Cinéma de quartier programme environ 60 films par an, avec une obligation de diffuser une part importante de films français.
Puis en octobre 1998, Dionnet ouvre une nouvelle émission, toujours axée sur le cinéma bis, mais qui cherchera à repousser les limites de ce qui est montrable à la télévision. Le premier film diffusé sur Quartier interdit est Le Maître des illusions (1995) de Clive Barker, avant de proposer pour les années suivantes Le Dentiste (1996) de Brian Yuzna, L’Oiseau au plumage de cristal (1970) de Dario Argento…
Sylvain Perret remarque dans le livre que les deux émissions de Jean-Pierre Dionnet ont quelque peu changé la donne cinéphilique. Ceux qui étaient adulés, à juste titre, comme les Bresson, Bergman, Duvivier, ont été quelque peu relégués par des figures à la marge (John Carpenter, Mario Bava, Dario Argento…) : « en prenant le parti de la contre-programmation, [l’émission] fut un laboratoire permettant la découverte d’une anti-cinématographie qui a su arriver au bon moment ».
Le livre intelligent de Sylvain Perret revient avec émotion sur ces deux émissions, en faisant intervenir les principaux collaborateurs, tout en recoupant les informations tant les mémoires peuvent être faillibles. Si Sylvain Perret retrace une histoire globale de l’émission, il revient aussi sur quelques moments forts, comme la présentation de westerns par Quentin Tarantino, celles de films de Robert Altman par Claude Chabrol, la naissance de la collection DVD Cinéma de quartier… Et pour tout cinéphile, le livre dresse la liste de tous les films diffusés de 1990 à 2007, de quoi donner envie de partir à la recherche de certains films introuvables.
« Non seulement les œuvres sont diffusées au format d’origine, mais dans des copies complètes. Or, il n’était pas rare que lors de leur exploitation en France, les films transalpins subissent des coupes. Il y avait la censure (ou plus exactement de l’autocensure) du distributeur français, bien évidemment, qui pouvait parfois supprimer quelques plans trop suggestifs, et qui dans les années 1990 paraissent bien inoffensifs. Mais aussi, et surtout, ces distributeurs avaient régulièrement tendance à raccourcir les œuvres d’exploitation afin de leur permettre d’atteindre la durée de 90 minutes, permettant de réaliser le maximum de séances par jour. Il faut donc être vigilant afin de récupérer les œuvres dans des versions intégrales. »
Une histoire de Cinéma de quartier, Sylvain PERRET, Co-édition Carlotta films & Badlands, 270 pages, 20 €
Visuel : Couverture du livre