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Un chemin vers l’apothéose avec les ballets russes à Aix-en-Provence

Un chemin vers l’apothéose avec les ballets russes à Aix-en-Provence

10 July 2023 | PAR Paul Fourier

Le spectacle, en trois parties confiées à trois réalisateur/trices a été l’occasion d’une véritable montée en tension débouchant sur une apothéose grandiose et envoûtante.

Incontestablement, monter les trois ballets russes dans une même soirée avec un même orchestre relevait du défi. D’autant que si le lieu choisi, par sa position ou son architecture, est, à bien des égards aussi fantastique qu’une maison hantée, le stadium de Vitrolles est, aussi, pour une longue soirée de spectacle, l’un des lieux les plus inconfortables pour les spectateurs et pour les musiciens. Les présents sur place ont dû faire preuve d’une grande résilience pour supporter la chaleur étouffante qui y régnait en première partie, déclenchant, malgré les bruits connexes, l’emploi forcené d’éventails.

Mais, la température qui a progressivement baissé dans la salle est allée de pair avec une formidable montée en tension dans la fosse comme sur l’écran (puisqu’il s’agissait d’illustrer, par des films, chacun des trois ballets russes).
Dans la fosse, si progression il y eut, ce fut au moins autant le fait de Stravinsky que de l’Orchestre de Paris. Car, en recevant successivement L’Oiseau de feu, Petrouchka puis Le Sacre de Printemps, l’on pouvait vivre alors en temps compressé, l’extraordinaire évolution du compositeur dont l’aboutissement fut le scandaleux Sacre.

Sous la baguette brillante de Klaus Mäkelä, l’orchestre déploya toutes les couleurs somptueuses dont il est coutumier. Suivant les ondulations de Stravinsky, toujours clair et vivace, il sut en gérer les nombreux contrastes, se faisant, tour à tour, marée calme ou mer en tempête. À voir le chef, en nage, mener de cette main si sûre, l’on réalisait que lors de la composition des trois pièces du soir, le compositeur était encore un homme jeune et que l’énergie débordante qui y transparait trouve de l’écho chez le jeune Mäkelä. À l’heure d’aborder Le Sacre, les cuivres qui se tendaient jusqu’à devenir délibérément agressifs annonçaient l’apothéose, d’autant que le film d’Evangelia Kranioti nous prenait aux tripes. La montée en puissance de l’orchestre se faisait ainsi en continuité, voire en fusion avec les images du film.

De Zlotowski trop détachée à la surpuissance d’Evangelia Kranioti

Dans un premier temps, sur l’écran, c’était Rebecca Zlotowski qui était à la caméra pour L’Oiseau de feu. La réalisatrice avait décidé d’utiliser les rushes d’un de ses films non abouti (Planétarium, 2016), film qui s’intéressait aux sœurs spirites Barlow et à leur rapport au cinéma d’antan. Zlotowski affirme que des coïncidences l’ont amené à reprendre ce matériau pour la commande du festival d’Aix-en-Provence. Mais, finalement, l’impression prédominante est que ce que Zlotowski a conçu auparavant restait peu connecté avec l’énergie globale de la soirée. Le propos finalement sage, le montage, assez répétitif, et le collage avec la musique de Stravinsky sont vite apparus artificiels. En fin de compte, Zlotowski semble plus avoir établi ses propres échéances que de s’être véritablement insérée dans la production qui nécessitait plus sûrement des productions originales réalisées pour l’occasion.

Après un entracte salvateur, avec Bertrand Mandico pour Petrouchka, l’on revenait à quelque chose de nettement plus passionnant, car, même s’il transforme l’histoire, faisant des pantins originels des mannequins de mode anorexiques, il est parvenu à absorber l’âpreté de la partition de Stravinsky, et par là- même, à nous captiver. Habilement, alors que lui aussi proposait de raconter un récit bref, il avait décidé d’y adjoindre des sous-titres, certes elliptiques, mais qui permettaient une meilleure connexion avec le public. Et, on y retrouvait, avec délectation, l’une de ses actrices fétiches, Nathalie Richard, en maîtresse sadique de cérémonie. Faire appel à Mandico était fondamentalement un choix osé de la part du festival, car le cinéaste est un OVNI et son univers stylisé, façon BD trash, peut en rebuter plus d’un. Certes, à l’issue de cette partie, on entendit quelques sifflets, mais cette traversée était, en tous points, passionnante, car l’étrangeté de Mandico s’accordait à la révélation-révolution des ballets russes d’il y a cent ans.

L’apothéose, cependant était à venir. Musicalement déjà, alors que le chef et l’orchestre, devenus surhumains dans les conditions du stadium, jetaient leurs forces dans la bataille, mais aussi visuellement, car, cette fois musique et images fusionnaient : mystère contre mystère, violence contre violence…

Evangelia Kranioti nous offrait alors un film où la pureté des éléments naturels (icebergs du Groenland, montagnes du Haut-Atlas, lacs du Canada) voisinait avec les mystères d’Éleusis et les rites des Indiens d’Amazonie. Au milieu de cela apparaissaient des femmes blessées, des carnavals étranges, de la dévastation et des junkies en transe au bord des favelas et des autoroutes de Rio. À ce moment précis, l’on arrivait à la conclusion que le public n’avait pas d’autre choix que de s’immerger dans la musique, la danse et la transe. Alors que les percussions étaient menées à leur pleine puissance, alors que la musique se faisait éternel recommencement, on en venait à rêver que, malgré l’inconfort, ce moment ne puisse jamais s’arrêter.
C’était le temps de la magie, celle de la fusion d’un instant, que l’on n’est pas près d’oublier. Et, alors que les conditions extrêmes avaient, en quelque sorte, contribué à cette grande messe, les spectateurs, exsangues, explosaient en une ovation libératrice saluant les artistes, les musiciens comme les réalisateur/trices. Il fallait alors retraverser le miroir, sortir groggy de cette étrange messe en trois parties, et se replonger dans le monde nocturne au milieu du terrain vague qui sert de parking au stadium. Le monde des lumières d’Aix nous attendait, mais celui que nous venions de quitter avait le gout et la puissance d’une intense catharsis.

Le spectacle sera donné à la Philharmonie de Paris les 28 et 29 février. Même si l’on passera du cube obscur de béton noir de Rudy Ricciotti à Vitrolles, aux rondeurs et au confort de la salle de Jean Nouvel, l’expérience elle, est, indéniablement, incontournable.

Visuels : © Jean-Louis Fernandez

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Paul Fourier

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