Opéra
Wozzeck emporté par une équipe de choc à Aix

Wozzeck emporté par une équipe de choc à Aix

16 July 2023 | PAR Paul Fourier

La mise en scène de Simon McBurney et les artistes font briller l’œuvre de Berg comme un soleil noir alors que le London Symphony Orchestra, sous la direction brillante de Simon Rattle, épouse les moindres reliefs de la partition. 

En 1837, le personnage de Woyzeck (ainsi orthographié) naît sous la plume de Georg Büchner ; pour être plus précis, c’est le drame littéraire qui apparaît à cette date, inspiré de l’histoire d’un barbier de Leipzig, ancien soldat, qui assassina sa maîtresse et fut décapité en 1824. Nous sommes alors en pleine époque de romantisme allemand, mais l’œuvre de Büchner est d’une modernité si étonnante qu’elle brise les frontières du genre et fascinera bien au-delà… jusque dans la première partie du XXe siècle lorsque Berg décide de s’en saisir.
À cette époque, c’est Berg qui incarne une autre modernité – voire une révolution, cette fois musicale, au sein de la seconde école de Vienne – en continuité de Malher et Schönberg. 

Le compositeur crée alors une partition unique et oppressante ; un opéra considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de cette époque, d’une composition invraisemblablement complexe, qui exige de la troupe de chanteurs qu’elle soit prête à se plier à ses difficultés.
Dans le programme de salle, Simon Rattle affirme « personne n’aborde cette œuvre sans crainte, sans se dire combien elle est difficile à interpréter ». 

La pièce de Büchner était aussi inédite par le fait qu’elle s’intéresse à un homme du peuple broyé dans la grande Histoire ; un homme qui, dans un accès de folie, tue sa maîtresse et s’auto-détruit. Comme le souligne Simon McBurney, la pièce va à l’essentiel, « sans s’embarrasser de ce qui est de l’ordre de la description du personnage ou de la motivation psychologique ». En 1917, quatre vingts années plus tard, alors que Berg décide de s’atteler à l’adaptation de la pièce, la folie humaine est à son comble ; les Empires s’effondrent et la première guerre mondiale est un gigantesque boucherie.
Cent années plus loin… non sans raison, le metteur en scène, peut faire un parallèle avec notre époque et la pertinence qu’il y a à placer le personnage de Wozzeck sur le devant de la scène. 

Une mise en scène juste et atemporelle, une direction d’acteurs au cordeau

L’heure quarante de la traversée dans laquelle Berg nous emmène relève, au moins autant, d’épisodes (parfois absurdes) de vie de Wozzeck que de son voyage intérieur et de la folie dans laquelle il va progressivement sombrer.

En grand observateur, Simon McBurney traduit cette traversée en utilisant dispositifs simples et mobiles : des changements de décors instantanés, un usage subtil de la vidéo, des parois qui sont murs ou fenêtres, une porte qui permet au personnage d’être en contact avec Marie, un disque tournant sur lequel les personnages passent ou se rencontrent, des accessoires qui caractérisent un moment le cabinet du docteur, ou un sol qui engloutit.
Si tous ces éléments ne sont guère sophistiqués, la mise en scène s’avère être une traduction de l’esprit de l’œuvre qui relève de l’évidence ; alors qu’évolue ce monde interlope, elle représente aussi un fin travail de direction d’acteurs, car chaque interprète est immédiatement caractérisable, tant par sa position sociale que par son discours et son état d’esprit.
Elle est enfin beauté des mouvements de foule ou, lorsque la musique de Berg et l’existence de Wozzeck sont à un tournant, un moment d’une incroyable beauté qui saisit à la gorge.

Des acteurs – chanteurs d’exception et un orchestre dédié à Berg

Ce qui caractérise les interprètes, c’est un haut degré d’expression ordinaire d’humanité, un naturel qui s’exprime dans un monde pourtant déréglé. De fait, ils portent naturellement l’inéluctabilité de la fin de l’histoire.
Grâce à son art du mot et à sa fréquentation du lieder, Christian Gerhaher propose un Wozzeck introverti, économe d’attitude, mais puissant par l’expression. Conformément aux volontés de Büchner et de Berg, il n’ouvre jamais son cœur ; mais, pourtant, cet homme, usant de toutes ses couleurs (et surtout des plus sombres) nous émeut, qu’il soit balloté par des monstres ou, glaçant, qu’il reprenne sa liberté pour se damner.

Bien que Malin Byström débute vocalement de manière un peu dure, elle incarne, à merveille, cette femme aussi indépendante que faible. Elle, aussi, fait part d’une simple part d’humanité et utilise ses magnifiques moyens au service du drame dont elle est la victime.

Acteurs grotesques du récit, Brindley Sherratt (le Docteur) et encore plus Peter Hoare (le Capitaine) prennent un malin plaisir à déployer ce chant disgracieux qui convient à leurs personnages.
Par sa voix claire et puissante, Thomas Blondelle personnifie une magnifique antithèse de Wozzeck et la distribution est complétée par l’excellent compère Andres de Robert Lewis, la bien cruelle Margret d’Héloïse Mas ou Tomasz Kumiega et son chant démonstrativement sonore.
Quant à l’Estonian Philharmonic Chamber Choir, il est une masse souvent informe et représente ce peuple si cruel pour qui l’individualité d’un Wozzeck ne mérite que moquerie ou mépris.

Sous la baguette affutée de Sir Simon Rattle, le London Symphony Orchestra est, en tous points, idéal. Tout Berg réside dans cet équilibre des ambiances, dans ce subtil jeux des vides, mais aussi, dans ce déchaînement soudain qui atteint alors au sublime.

Ce Wozzeck est incontestablement une production d’exception. Il reste à espérer que son parcours ne s’arrêtera pas à l’édition 2024 du Festival d’Aix-en-Provence.

Visuels : © Monika Rittershaus

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