Verbier Festival fête ses 30 ans
Le célèbre festival suisse fête cette année sa 30e édition. Un point culminant de cette édition est le concert du gala du lundi 24 juillet rassemblant des « stars » internationales de la musique classique. La programmation musicale ainsi que les interprétations de musiciens invités y sont toujours très élevées, l’anniversaire ou pas. Comme le témoignent ces concerts en avant goût du gala.
Kissin et la question de l’interprétation
Sur la vaste scène de la Salle des Combins, installée chaque année pour le festival sur un immense parking de la station de ski, Evgeny Kissin livre une vision personnelle de partitions de Bach, Mozart, Chopin et Rachmaninov. Son sens de construction méticuleuse est cette fois encore pleinement mis en avant, conférant à son interprétation une densité rare. Cette densité, comparable à une magnifique bâtisse en béton armé, donne à la fois une vertige et une sensation de pesanteur. Et la pesanteur est si présente qu’elle nous scelle dans sa vision, sans nous laisser nous envoler dans notre propre imagination… Le pianiste soulève ainsi de nombreuses questions sur l’interprétation et la réception, notamment sur la part de liberté chez l’auditeur… Une soirée intéressante en somme, car il pointe ainsi la question la plus fondamentale dans la musique, un art qui n’existe que dans la reproduction, dans son interprétation et dans son écoute, toutes réalisées par une tiers personne.
Rencontres inédites
Outre les grands concerts à la Salle des Combins, la série de concerts de musique de chambre, « Rencontres inédites », est l’un des phares du Festival. Les jeunes espoirs les plus en vue se côtoient avec les plus grands musiciens internationaux et ils sont toujours accueillis très chaleureusement par le public.
L’une d’entre elles, particulièrement remarquée, fut celle du 19 juillet, avec Yuja Wang, Klaus Mäkelä, Antoine Tamestit et Daniel Lozakovitch. Parmi les quatre musiciens, Antoine Tamestit, d’un naturel réjouissant, se montre maître de la soirée. Son amour pour son instrument rayonne le Quatuor n° 2 de Brahms dans un très beau dialogue entre les trois autres instruments, notamment avec le violon de Lozakovitch. Ce dernier déclenche visiblement une inspiration à Tamestit qui, par ses gestes, embrasse l’interprétation de son cadet. Dans la Sonate pour violoncelle et piano op. 19 de Rachmaninov, Wang et Mäkelä mettent en avant leur expressivité vive mais subtilement dosée. Au fil des mouvements, leur expression s’intensifie et ils entrainent toute la salle dans une grande émotion, à laquelle les mélomanes répondent avec une ovation debout.
Une autre soirée de musique de chambre propose un programme Mozart-Beethoven-Dvorak avec une dizaine de musiciens. Parmi eux, Nicolas Altstaedt impressionne une fois de plus avec son jeu habité. Ecouter dans un concert la riche et ample sonorité de son violoncelle est une expérience presque spirituel. Au clavier, Alexander Malofeev fait preuve de son grand talent de chambriste alors qu’Alexandra Dovgan (née en 2007), désormais habituée du Théâtre des Champs-Elysées, réalise une belle harmonie avec ses aînés. Notons également la présence des violonistes Alissa Margulis et Alexander Sitkovetsky, de l’altiste Amihai Grosz (Premier alto principal du Berliner Philharmoniker) et du violoncelliste Daniel Blendulf, extrêmement rares en France — voici une bonne raison de se déplacer jusqu’à la station du sport alpine.
Fujita et Bouchkov dans une intégrale des Sonates de Beethoven
Après son intégrale des Sonates pour piano de Mozart l’année dernière, Mao Fujita revient à Verbier pour les 9 Sonates pour violon et piano de Beethoven avec Marc Bouchkov. Les tempéraments a priori opposés des deux musiciens, l’un intimiste et l’autre tourné vers l’extérieur, se fondent avec bonheur dans les quatre partitions (n° 3, 4, 6, 8). Leur écoute mutuelle aiguisée — le violoniste semble cependant plus attentif à ce que le pianiste propose — mène l’auditoire dans l’intimité du compositeur. Ainsi, ils nous étonnent sans cesse en dévoilant un Beethoven assez inattendu, avec un choix de tempo propre à eux, avec un caractère nettement haydnien, ou encore avec des traitement d’accents et d’attaques relativement doux par rapport à l’idée de « brutalité beethovénienne » communément admise. Leurs propositions font comprendre à quel point notre écoute peut être influencée par des idées établies à travers une série d’acceptations, comme par exemple : « Il faudra exprimer la virulence dans Beethoven »… Cette intégrale est donc bien révélateur, on attend vivement d’autres occasions de les entendre dans les neuf sonates et un éventuel enregistrement !
Les 19 et 20 juillet au Verbier Festival
Photo © Nicolas Brodard