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Festival de Pâques Aix en Provence : Yuja Wang et Klaus Mäkelä bousculent et éblouissent au Grand Théâtre de Provence

Festival de Pâques Aix en Provence : Yuja Wang et Klaus Mäkelä bousculent et éblouissent au Grand Théâtre de Provence

19 April 2023 | PAR Hannah Starman

Ce 15 avril devant l’auditorium comble du Grand Théâtre de Provence, la pianiste chinoise Yuja Wang revient au Festival de Pâques avec le Concerto pour piano N° 3, écrit pour elle par le compositeur finlandais Magnus Lindberg en 2022. Tandis que Yuja Wang triomphe avec une démonstration déconcertante de virtuosité, Klaus Mäkelä surprend avec une interprétation exubérante et lisse de la Symphonie N 6 “Pathétique” de Tchaïkovski, qui fait fi du gravitas slave, écorché et mélancolique. Une performance haute en couleurs, débordante de fraîcheur et de talent conquérant.

Yuja Wang galvanise l’auditoire avec le Concerto pour piano N° 3 de Magnus Lindberg

Ce 15 avril, deux jours après la création française du Concerto pour piano N° 3 de Magnus Lindberg à la Philharmonie de Paris, la soirée au Grand Théâtre de Provence ouvre avec une Valse triste de Jean Sibelius, une jolie courte pièce poétique, conduite sur un tempo lent, aplatissant les contrastes, comme si Klaus Mäkelä cherchait à arrêter le temps avant de déclencher la déferlante du Concerto N° 3 de Magnus Lindberg.

Né en 1958 à Helsinki, Magnus Lindberg, pianiste et compositeur finlandais, étudie la musique à la célèbre Académie Sibelius qui a produit de nombreux chefs d’orchestre réputés, parmi lesquels Esa-Pekka Salonen, Jukka-Pekka Saraste, Mikko Franck, Susanna Mälkki et Klaus Mäkelä. Il poursuit sa formation musicale avec le tromboniste et compositeur français d’origine slovène, Vinko Globokar et le compositeur français Gérard Grisey. Lindberg écrit le Concerto pour piano N° 3, après avoir entendu Yuja Wang jouer les Concertos pour piano N° 1 et N° 2 de Dmitri Chostakovitch en 2019. La création mondiale de l’œuvre, initialement prévue en Chine (le China National Centre for The Performing Arts est l’un des commanditaires de l’œuvre), doit être reportée à cause du Covid. Le Concerto N° 3 sera finalement crée le 13 octobre 2022 à San Francisco sous la baguette d’Esa-Pekka Salonen, ami et camarade de classe de Lindberg.

Inspiré par Le Concerto pour piano N° 3 de Bartok et Le Concerto pour piano N° 3 de Rachmaninov, mais aussi par Ravel, Sibelius, Prokofiev, Liszt et Gershwin, le Concerto N° 3 de Lindberg est une composition de 32 minutes en trois mouvements, conçus comme trois concertos réunis en un seul. Deux longes cadenzas sont prévues pour la soliste. Le Concerto N° 3 évoque l’opéra chinois que Lindberg narre à travers un dialogue entre le piano et les pupitres des cordes et des vents. Partant du constat que Yuja Wang peut tout jouer et qu’elle aime des pianos “forts” d’une passion habituellement réservée aux grosses cylindrées, Lindberg écrit à son attention une composition complexe et puissante, d’une difficulté technique exceptionnelle. Dans la dernière ligne droite avant la création, la soliste collaborera avec le compositeur pour y apporter la touche finale. Le Concerto N° 3 met pleinement en valeur la virtuosité explosive et le goût de la performance scénique de la pianiste chinoise. 

On ne peut s’empêcher, en regardant Yuja Wang s’installer au piano, en petite tenue moulante et talons aiguilles vertigineux signés Louboutin, de penser à ces championnes de gymnastique, légères, souples, féroces et prêtes à bondir. Yuja Wang joue le Concerto N° 3 avec le brio et l’aisance apparente d’une Simone Biles qui exécute son double salto arrière groupé avec une triple vrille, avant d’atterrir quinze mètres plus loin, sourire aux lèvres, comme s’il n’y avait pas de quoi en faire une histoire. L’Orchestre de Paris, dirigé par son flamboyant jeune directeur musical, donne clairement tout ce qu’il a dans le ventre pour accompagner l’ouragan Yuja Wang et nous offre une fabuleuse réalisation de cette œuvre vibrante, innovante et musclée qui ne manquera certainement pas de rentrer dans le répertoire. Le public, conquis par la démonstration pianistique de Yuja Wang, applaudit chaleureusement. La pianiste joue encore trois petits bis – Les chemins de l’amour de Poulenc, “Danse des petits cygnes” du Lac des Cygnes de Tchaikovski et un medley de Carmen de Bizet, certes, pétris de virtuosité, mais dissonants et superficiels par rapport à la splendeur du Concerto N° 3 que l’on vient d’entendre.

Symphonie N°6 en si mineur op. 74 “Pathétique” de Tchaïkovski entre Chostakovitch et Bernstein

Après l’entracte, le programme continue avec la Symphonie N 6 “Pathétique” de Tchaïkovski. La Sixième est la dernière symphonie du compositeur russe. Le 28 octobre 1893, Tchaïkovski dirigera lui-même sa première à Saint Pétersbourg. Il enverra encore la partition à son éditeur avant de mourir subitement, le 6 novembre 1893, neuf jours après la création de la Sixième. Il intitulera sa symphonie “passionnelle”, mais le mot russe “pateticheskaya” a été traduit en français comme “pathétique” et l’erreur sera reproduite dans toutes les versions linguistiques. La mort mystérieuse (on évoque le choléra ou le suicide) du compositeur à l’âge de 53 ans et la traduction inexacte donneront à la Sixième symphonie une empreinte tragique, alors que Tchaikovski la considère comme un chef d’œuvre et une source de fierté immense. Klaus Mäkelä optera pour une interprétation qui surprend et saisit par son aspect lisse et contemporain, dénué de toute tragédie romantique et occidentalisé au point de gommer sa proverbiale “âme russe” au profit d’une magie théâtrale digne de Broadway. Il fallait oser la restitution d’un esprit conquérant dans une symphonie aussi marquée par le désastre et Mäkelä l’a fait !

Né en 1996 à Helsinki dans une famille de musiciens, chef d’orchestre et le violoncelliste finlandais, Klaus Mëkelä est nommé conseilleur musical de l’Orchestre de Paris en 2020 et directeur musical pour cinq saisons, à partir de 2022, alors qu’il n’a que 25 ans. Le coup de foudre entre le jeune chef d’orchestre finlandais et la phalange parisienne est immédiat et Mäkalä est élu à l’unanimité, après avoir dirigé l’Orchestre de Paris une seule fois, en juin 2019. Installé devant son orchestre, Mäkelä soigne son apparence. Son costume est élégant, sa gestuelle recherchée et ses poses dramatiques. Ses cheveux, gominés juste assez pour tenir en place pendant les premières mesures, se lâcheront au fur et à mesure que ses mouvements de tête s’intensifieront, jusqu’à ce que sa tignasse blonde prenne l’aspect soigneusement négligé d’un poète saisi pas une inspiration soudaine ou d’un mannequin lors d’un shooting en salle de musculation.

Malgré son aspect théâtral qui agace parfois certains commentateurs, Klaus Mäkelä nous propose ici une Sixième de Tchaïkovski unique, triomphale, insolite comme si Chostakovitch en avait écrit une partie, éclatante comme une production de Broadway et grandiose comme doit l’être la symphonie que Tchaïkovski considérait “sa meilleure œuvre.” Prenant le risque de s’attirer les foudres des gardiens du temple, Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris, qui le suit comme un seul homme, nous offrent l’opportunité délicieuse et rare de découvrir une vision neuve d’une œuvre aussi familière que la Sixième de Tchaïkovski. Yuja Wang et Klaus Mäkelä, brillants et débordants d’une jeunesse décomplexée et d’une ambition éblouissante, viendront encore bousculer les codes et dépoussiérer le répertoire et on ne peut que s’en réjouir !

Visuels : © CARO

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Hannah Starman

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