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« Kalmann » de Joachim B. Schmidt : Un village islandais

« Kalmann » de Joachim B. Schmidt : Un village islandais

16 April 2023 | PAR Julien Coquet

Roman d’un auteur suisse se déroulant en Islande, Kalmann n’est pas tant un roman policier que le portrait d’un village islandais par un cœur simple.

Raufarhöfn, Islande. L’un des coins les plus reculés de l’île, village situé au nord, proche du cercle polaire arctique, avec moins de 200 habitants au compteur. Depuis que les quotas de pêche ont été imposés, le village se meurt. S’il subsiste un hôtel, une attraction touristique (l’Arctic Henge), une école, un commerce de proximité, le village se vide… Loin de toute civilisation, quelques âmes tiennent encore le coup, comme Kalmann Óðinsson, un homme au léger handicap moteur, comme cette Félicité de la nouvelle « Un cœur simple » de Flaubert. Le quotidien du village est mis à mal lorsque Kalmann découvre une mare de sang. Ce dernier analysé, on apprend qu’il appartient au directeur de l’hôtel, Róbert McKenzie, notable du village qui manque à l’appel depuis plusieurs jours…

Récipiendaire en 2021 du Crime Cologne Award, Kalmann se distingue avant tout par son portrait de Raufarhöfn. Véritable communauté, le village regroupe un poète, des immigrés lituaniens travaillant à l’hôtel, des pécheurs, un berger, une institutrice, un professeur de sport, le concierge de l’école… Tout ce microcosme doit forcément cacher le meurtrier, mais, malgré la présence d’une enquêtrice, Joachim B. Schmidt déplace son histoire : ce n’est plus tant la résolution du meurtre qui intrigue que le personnage de Kalmann lui-même. À la première personne, dans une langue très simple, non dénuée de poésie et d’humour, Kalmann nous raconte son quotidien, ses pensées, les relations souvent bienveillantes qu’il entretient avec les autres villageois. Très proche de son grand-père placé en maison de retraite, Kalmann aime avant tout pêcher le requin pour confectionner une spécialité islandaise, du requin fermenté. Le trentenaire, qui rêve d’avoir une femme et dont le seul véritable ami est un homme avec qui il échange uniquement par Internet, se retrouve empêtré dans cette histoire louche, et va aider la police comme il le peut.

« Chaque fois, je m’étonnais qu’elle arrive à caler son gros corps derrière le volant. La conduite n’était pas son fort. Elle ne s’est détendue que quand Raufarhöfn était derrière nous et que la route n’était plus qu’un trait dans le paysage, et là, elle s’est mise à m’abreuver de paroles. À croire qu’elle avait attendu toute la semaine de pouvoir exprimer ses pensées. Elle répétait le journal télévisé et tout ce qu’elle avait observé le matin même depuis sa fenêtre. Le flicage des secouristes, comme elle disait. Elle arrivait toujours à parler de quelque chose, il y avait toujours quelque chose qui l’occupait. Et je n’avais pas besoin de lui répondre. Ça ne me gênait pas. Parfois, je ne disais rien pendant tout le trajet, je restais juste là à l’écouter – ou pas, je regardais par la fenêtre, pensais à mon grand-père ou voyais des animaux qu’on aurait pu chasser ou observer. Un chasseur a l’œil pour ça. »

Kalmann, Joachim B. SCHMIDT, traduit de l’allemand (Suisse) par Barbara Fontaine, Gallimard, Collection La Noire, 368 pages, 22 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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