Théâtre
Quelle est votre addiction, Jean Lambert-wild ?

Quelle est votre addiction, Jean Lambert-wild ?

05 October 2015 | PAR Geoffrey Nabavian

Le passionnant metteur en scène, directeur du Théâtre de l’Union, Centre Dramatique National du Limousin, édifie patiemment une œuvre de dramaturge, de performer, d’interprète et de directeur d’acteurs, où se retrouvent quelques obsessions. Lors des Francophonies en Limousin, on a voulu recueillir sa parole.

Photo Jean Lambert wild Richard 3« Ma plus grande addiction est le langage. A tel point qu’elle en a engendré d’autres : la joie, principalement. Puis le plaisir de dire, de jouer, et enfin de lire du théâtre. Et au final, une addiction à la poésie. Poésie qui est devenue, comme j’aime à le penser, l’épée de ma joie, car elle m’empêche de céder au cynisme, au mépris ou à la tristesse. Quand je vois la vitalité des auteurs qu’on a récompensés, dimanche 27, aux Francophonies (Lire le récit des récompenses ici.), je suis heureux que d’autres, toujours plus nombreux, brandissent aussi leurs épées.

L’apprentissage du langage par les enfants m’émerveille, c’est une magie totale. Nous pourrions être des arbres et ne communiquer que par voie chimique, en émettant des molécules gazeuses que le vent disperserait. Mais non, nous avons échappé aux caprices du vent grâce à la parole, dont la complexité fait d’un son un monde. Un même mot fait le pire ou le mieux. Tout est question d’usage car aucun mot n’est gratuit. Il faut avoir le courage de dire un mot. Il faut avoir le double courage d’assumer son sens. J’ai une peur. Une très grande peur : perdre le langage. J’essaye donc de glaner un mot chaque jour. Espérant que mes moissons seront suffisantes pour affronter l’infortune d’une disette.

Et en tant qu’artiste, j’ai une autre addiction : parler un langage au-delà de ma temporalité. Recueillir des termes anciens, par exemple. Pour mon spectacle à venir, Richard III, Loyaulté me Lie, je rencontre des mots comme « drille », ou « soudrille »… Je suis plongé dans le laboratoire de la langue française, et j’adore cela. J’ai aimé follement aussi me confronter aux guerz des chants bretons sur L’Ombelle du trépassé (2011), ou à la langue des indiens Xavante à l’occasion de Mue (2005). Et j’admire tous les auteurs qui se préoccupent de l’importance des mots, comme Valère Novarina (Lire la critique de L’Acte inconnu, qu’on a vu lors des Francophonies 2015, ici) ou un jeune dramaturge que je viens de découvrir, Paul Francesconi. Quand je ne sais plus quoi espérer de ce monde, il me reste toujours l’espérance d’un autre homme qui parle et réinvente le monde.

La plus grande arme pour lutter contre la bêtise est sans doute l’élégance que nous, et les autres, pouvons avoir face à ce monde. Si on n’aiguise pas son regard par la poésie et la culture… on se trouve alors embarqué, sans retour, dans les flux technologiques qui aveuglent notre existence et nous font échouer sur des landes stériles et muettes. Il faut prendre conscience de l’importance de toute chose. Car tout est important. La disparition des abeilles comme l’exode de réfugiés, tout nous renvoie à l’extrême fragilité de notre humanité. Nous ne devons avoir de cesse de la dire et de l’interroger pour  renforcer l’ossature de sa parlure.

Je n’ai pas, enfin, d’addiction au risque, contrairement à ce que certains pourraient penser, du fait de mes performances théâtrales (Plus de détails sur les performances de Jean Lambert-wild ici). Je reste très, très prudent. Je suis un saltimbanque. Pas un soldat. J’use de mon corps comme d’un truchement pour offrir de la poésie aux spectateurs. Si une blessure a lieu sur la scène, c’est forcément que nous avons été négligents. Il faudra donc se soigner, mais surtout se corriger car la négligence est un péril qui n’a pas besoin du hasard pour frapper le destin.

Une addiction se propose toujours un projet. Mon projet global à moi est d’être libre, et cela jusqu’au choix du terme (Plus d’éclairages sur ce terme ici). Pour ce faire, je crois à l’exigence. On peut tout à fait la partager. J’essaye par le plaisir du jeu de faire sonner les mots et de partager l’exigence que j’ai à me conduire. Si on est exigeant, la joie survient. »

*

Richard III, Loyaulté me Lie, d’après William Shakespeare, mis en scène et interprété par Jean Lambert-wild avec la collaboration d’Elodie Bordas, Lorenzo Malaguerra, Gérald Garutti, Jean-Luc Therminarias et Stéphane Blanquet, sera créé au Théâtre de l’Union de Limoges du 19 au 29 janvier 2016. Les textes de Jean Lambert-wild sont publiés aux Solitaires Intempestifs.

Visuel : Jean Lambert-wild dans Richard III, Loyaulté me Lie © Tristan Jeanne-Valès

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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