[Interview] Jean Lambert-wild : « Avec générosité et amitié »
Au fond d’une piscine avec son lit, ou en train de cuisiner des drapeaux français… Intégré dans un jeu vidéo, moulé dans une combinaison remplie de confiture, ou flottant en apesenteur… En matière de performance, on peut dire que Jean Lambert-wild, actuel directeur de la Comédie de Caen, a tout fait. Excitant, en ce cas, qu’il s’attaque à En attendant Godot, pièce qui fut très galvaudée, au fil de mises en scène illustratives. On le rencontre après une représentation à l’issue de laquelle il a pris la parole en faveur des intermittents, qui « travaillaient dans les coulisses », et du statut des Centres dramatiques nationaux. Artiste à poigne, et homme en incertitude constante : cocktail stimulant a priori.
Vous êtes attaché depuis longtemps à la transmission des mythes. Lorsque vous lisez En attendant Godot, des mythes enfouis surgissent-ils à votre regard ?
Jean Lambert-wild : Oui, il y en a beaucoup. Il y a deux mille ans d’Occident dans Samuel Beckett. On trouve le mythe des Deux Larrons, le mythe d’Œdipe… Mais pour ma part, c’est l’humanité qui réside dans le texte qui me plaît le plus. C’est une écriture de la dignité, et de la réconciliation, que l’homme peut avoir avec lui-même. Le mythe qui n’est pas éteint, c’est que nous pouvons nous tenir debout.
Dans le spectacle, on a l’impression qu’il y a différents plans de jeu, que les comédiens jouent au fond, puis avancent jusqu’à très au bord du plateau, pour arriver à la pure frontalité. Vous êtes-vous servi des codes du clown, pour trouver ces différents plans ?
Jean Lambert-wild : Bien évidemment. On sait que Beckett adorait le burlesque, le cabaret… On pense qu’il est parti de Footit et Chocolat, un duo de clowns du début du siècle, fameux, pour créer Pozzo et Lucky. C’est présent. Et c’est une question qui m’intéresse. J’ai déjà mon clown, que j’utilise ici… D’autre part, la difficulté, pour nous quatre, est de faire connivence. Et pour ça, en effet, nous travaillons sur différents plans, qui sont davantage des codes que des espaces. On peut passer du burlesque à la comédie, à l’absence, à la pure douceur… Tous ces codes fonctionnent, et créent au bout d’un moment de l’émotion. Lorenzo Malaguerra, qui cosigne la direction avec moi et Marcel Bozonnet, a trouvé une phrase formidable. Il a dit à un moment : « C’est Feydeau à Auschwitz ! »
Votre clown, ce personnage au pyjama rayé, comment l’avez-vous trouvé ?
Jean Lambert-wild : Sans doute comme on trouve son clown, par hasard, ou parce qu’il y avait quelque chose de moi qui était mûr pour sortir. Puis je lui ai trouvé sa typologie, de mouvements, de gestes… C’est un clown qui a une grande variété. Il peut être un clown triste, un auguste, un sévère, un paillasse…
Vous aimez également les rituels. Et dans votre ouvrage Demain le théâtre, vous parlez beaucoup d’ « incertitudes » à mettre à jour. Y a-t-il, dans votre mise en scène, un rituel pour découvrir une incertitude ?
Jean Lambert-wild : Au théâtre, il y a toujours un rituel : le mystère de l’acteur. Qu’est-ce qui fait qu’il produit autant d’émotion, et qu’il est capable d’incarner celle-ci ?… Le rituel, c’est comment amener l’acteur à ça. Pour ma part, je crois qu’il n’y a qu’un seul moyen : la générosité et l’amitié. Pas facile de les obtenir et de les conserver.
Au départ, sur En attendant Godot, avez-vous été tenté de recourir à la technique la plus moderne, comme vous faites le plus souvent ?
Jean Lambert-wild : Non. Je m’intéresse à la technique moderne à partir du moment où elle permet d’amplifier des motifs. Là il n’y avait pas de nécessité. Il y a plein d’astuces. Mais la belle technique, c’est celle qu’on ne voit pas. C’est vrai que par rapport à d’autres spectacles que j’ai faits, ici la scénographie est plus dépouillée. Mais il y a également les techniques d’acteur : le phrasé « à la française », par exemple, de Marcel Bozonnet. Je l’utilise dans mon Lucky. Il permet de poser distinctement tous les mots en allant très vite…
J’avais lu dans Demain le théâtre que vous utilisiez la technique moderne pour faire émerger les derniers dieux-compagnons, qui suivent nos solitudes. Ici, ces dieux ne seraient-ils pas déjà contenus dans le texte de Samuel Beckett ?
Jean Lambert-wild : Hum… Sans doute. Son écriture est belle car elle est chargée des fantômes de l’histoire. Ca n’est pas une absurdité, c’est quelque chose de très concret. Qui n’a pas forcément besoin d’être accompagné de façon excessive.
Dernière chose : y a-t-il une date de prévue pour la fin de l’Hypogée ?
Jean Lambert-wild : ll n’y a pas de date, par contre il y a un événement de prévu. On peut l’imaginer assez simplement.
Une rétrospective ?
Jean Lambert-wild : Non, c’est contenu dans le terme de ce qu’est une hypogée*. Je suis en train de la construire, cette œuvre. Après, comme je suis assez stoïcien, j’estime qu’il y a un moment où, quand la chose –l’œuvre- est faite, il faut savoir s’arrêter. Il y a plusieurs moyens pour ça. En tout cas, le silence prévaudra, quand j’aurai terminé.
*le descriptif des spectacles qui composent l’Hypogée sont visibles ici
Visuels : © Tristan Jeanne-Valès