Théâtre

L’homme inutile à la Colline : Bernard Sobel fait magistralement découvrir l’écrivain russe Iouri Olecha

14 September 2011 | PAR Yaël Hirsch

Après “Le Mendiant ou la Mort de Zand”, Bernard Sobel poursuit sa visite du répertoire de l’écrivain Russe aujourd’hui oublié, Iouri Olecha (1899-1960). Né avec le 20e siècle, Olechine a connu la NEP puis Staline. Ayant le sentiment de se situer entre deux générations, il met en scène leur combat à travers la figure des deux frères de “L’homme inutile ou la conspiration des sentiments” (1928). Sobel habille de sobriété et d’humour cette peinture sobre de l’homme nouveau prêt à sacrifier la génération passée et tout sentiment pour augmenter la productivité collective. Jusqu’au 8 octobre 2011.

L’ingénieux Andreï Babichev (Pascal Bongard) est un camarade reconnu et puissant. Alors qu’il met en place un grand complexe où tous pourront manger deux plats chauds avec de la viande pour 25 kopeks, et qu’en parallèle il travaille à un saucisson qui coûtera seulement 35 kopeks, il se paye le loisir d’être généreux et de recueillir chez lui un jeune homme “inutile”, romantique, et qu’il a trouvé ivre dans la rue : Nicolas Kavalerov (Vincent Minne). Par ailleurs en Arnolphe moderne cet homme résolument rationalisateur et moderne fait élever sa future épouse, qui n’est autre que sa nièce (Sabrina Kouroughli), une vraie petite soviétique, sportive, et froide comme la pierre. Mais c’est sans compter la colère sans fond de son frère, Ivan Babitchev (John Arnold). Dépossédé de sa fille et très conscient de la menace que l’intérêt collectif fait peser sur la noblesse de l’intériorité, ce dernier lève une armée de manants contre Andreï Barbitchev : encore attachés à leurs vieilles passions et lésés par le nouveau système soviétique, cette conspiration des sentiments contre l’interprétation trop mesquine des lois de l’histoire se met en marche…

Rempli de détails poétiques (Ivan Barbitchev se ballade avec un oreiller en guise de mascotte), de répliques fulgurantes et de références littéraires éclairantes, le texte d’Olecha gagne à être connu, même si 2h15 de considérations sur le communisme est une gageure parfois difficile à tenir en 2011 et que l’attention de la salle s’essouffle parfois. Hésitant, comme il se doit, entre romantisme (ancienne génération) et distanciation( nouvelle génération), Bernard Sobel met en scène comme un bal au cours duquel brillent quelques étoiles choisies cette lutte profonde entre deux générations qui souhaitent chacune l’extermination de l’autre. Les décors époustouflants de Lucio Fanti et qui font penser à des grandes fresques mobiles de Meidner et la musique de Bernard Vallery sont pour beaucoup dans le succès de cette pièce. Enfin, même les spectateurs les plus réticents sur la thématique de l’homme inutile se laisseront convaincre de son humour et de sa finesse psychologique grâce aux comédiens qui la portent : le duo Pascal Bongard/ John Arnold est tout simplement génial.
Une pièce à voir donc, pour tous ceux qui sont curieux des dystopies et des furies de la création d’un “homme nouveau”.

“L’homme inutile ou la Conspiration de sentiments”, de Iouri Olecha mise en scène Bernard Sobel, avec Pascal Bongard, John Arnold, Vincent Minne, Sabrina Kouroughli, 2h15.

Photo © Élisabeth Carecchio – photographie de répétitions

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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