Le formidable Dindon de Georges Feydeau
Lucienne Vatelin aime son mari avec la constance de qui se sait adorée. Mais l’adultère révélé de ce dernier la mène sur les chemins de la vengeance où désamour et déception malmènent des corps qui se chosifient. A la suite de Georges Feydeau, Philippe Adrien interroge ainsi les pratiques sociales de ses contemporains pour tenter d’approcher l’animal hybride que forme le couple d’amants.
Au Théâtre de la Tempête, Le Dindon s’ouvre sur un magnifique jeu de rotation, un inquiétant vertige. Le plateau est partagé en plateformes qui tournent en sens inverse, permettant aux acteurs de remonter le temps, d’en accélérer le cours, et de se prendre les pieds dans le tapis. Les portes du vaudeville claquent alors dès le prologue, suivant le rythme effréné et affolant de la bande-son de Stéphanie Gibert.
D’emblée, la mise en scène de Philippe Adrien désamorce le souvenir boulevard pour reconnaître au maître du vaudeville une tonalité plus grave . Le drame s’annonce donc dans un frisson d’angoisse, avant que le rire de la scène d’exposition ne ramène le spectateur au confort de son horizon d’attente.
Car le dindon est drôle. Dans sa pratique de la filature, du jeu de dupe, des faux semblants, de la séduction et de la danse cathartique de l’amant en rut, il provoque l’hilarité de la salle. Eddie Chignara incarne un Pontagnac résolument comique, poursuivant avec intensité les jeux de scène de ses partenaires. Avec Rédillon, pour lequel Guillaume Marquet a reçu le Molière 2011 du Jeune Talent masculin, ils forment un duo farceur où melons et canotiers tournent autour d’une patère. Les deux coqs se disputent la faveur de Lucienne Vatelin qui, une fois certaine de l’infidélité de son mari, promet vengeance en jurant de s’abandonner à une aventure extra-conjugale. La course est donc commencée : à qui s’assurera de duper l’amour sincère de Vatelin pour gagner dans le parjure le corps absolument objectivé de Madame. Une Madame splendide d’intensité et d’éclat depuis le duetto initial jusqu’à la danse finale jouée avec élan et précision par Alix Poisson.
Dans ce ballet des amants, jeunes et vieux, mariés et officieux, unis et désunis, le couple 1900 se dessine pour le pire et pour le meilleur. Monsieur Feydeau compose une série de quiproquos qui s’enchâssent et se multiplient avec adresse et rigueur pour jeter à la face du public parisien ce qui se trame dans les chambres de l’Ultimus. Mais celles-ci pourraient bien se trouver à New-York dans un Sofitel, sans que l’élégance des costumes d’époque d’Hanna Sjödin, légèrement rehaussés d’une touche contemporaine, ne retienne une association d’idée avec la brûlante actualité de cet été.
Et le public s’amuse de ces nombreuses allusions, il rit lui aussi de ses propres travers et de ces impasses dans lesquelles la passion des corps le jette, éperdu. Car les acteurs, les premiers, se livrent avec un plaisir immense aux jeux des grandes personnes. Mais le grincement de cette mécanique finement rodée, ne se fait pas oublier et l’amertume pointe quand, dénouement final, le dindon de la farce s’avoue vaincu. A quoi bon toutes ces manigances ? Et les acteurs de saluer sur leur plateau tournant, figés dans ce qui s’apparente à des figurines giratoires sur un carrousel d’enfant – chatoiements de couleurs et carton-pâte des sentiments d’une nuit.
Avec Vladimir Ant, Pierre-Alain Chapuis, Eddie Chignara, Dominique Gould, Bernadette Le Saché, Pierre Lefebvre, Guillaume Marquet, Patrick Paroux, Alix Poisson, Juliette Poissonnier, Mila Savic, Décor de Jean Hass assisté de Florence Evrard, Musique et son de Stéphanie Gibert, Costumes Hanna Sjödin assistée de Camille Lamy, Lumières de Pascal Sautelet assisté de Maëlle Payonne.
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