Performance
A la recherche du point de quiétude – là où le spectacle est suspendu

A la recherche du point de quiétude – là où le spectacle est suspendu

10 May 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Pour sa soirée d’ouverture, la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette, portée par le Mouffetard – Théâtre de la marionnette à Paris et 27 partenaires, s’offrait la venue de Renaud Herbin au Carreau du Temple. Sa dernière création, intitulée At the still point of the turning world, est une rencontre entre la marionnette et la danse, dans une proposition qui tiendrait davantage d’un paysage sensible que d’un spectacle. Rétif à la compréhension, il offre de beaux tableaux, même si on peut déplorer qu’il ne soit pas un peu plus émouvant.

Renaud Herbin fait partie de ces expérimentateurs qui n’ont peur de rien, qui prennent des risques en permanence, qui ne vivent pas dans la crainte du désamour d’un public qui leur serait acquis.

At the still point of the turning world n’est peut-être pas même un spectacle. Depuis un certain temps déjà, Renaud Herbin s’éloigne des formes strictement narratives, pour entrer dans les univers de la matière – comme dans Wax (notre critique) – ou d’une esthétisation du mouvement et de la relation d’animation – comme dans Milieu (notre critique). Si on l’aborde comme une forme non spectaculaire, alors, performative, du coup, on touche plus facilement à ce qui fait la force de At the still point of the turning world.

C’est une proposition qui naît au croisement de trois mondes : celui de la marionnette, celui de la danse contemporaine apporté par Julie Nioche, celui de la musique apporté par Sir Alice. Peut-être faut-il y rajouter la poésie : le nom même du spectacle est tiré d’une œuvre de T.S. Eliot, Four Quartets, dont certains vers sont chantés pendant le spectacle.

On peut dire que le mariage est réussi, trouve sa délicate harmonie à un endroit indéfinissable, quelque part dans le rythme et la pulsation, dans l’énergie autant que dans son reflux. C’est une proposition où le vide, le silence, l’immobilité ont une valeur, et d’autant plus grande que leur opposé est également exploré. Un synthèse du yin et du yang, en quelque sorte.

De fascinant, on retiendra l’installation plastique, et les jeux qu’elle autorise – jeux avec le corps, avec la lumière, avec la musique même. A une grille pendue aux cintres sont accrochés des dizaines, peut-être des centaines de sacs de tissu blancs, identiques, attachés rigoureusement à la même hauteur. Ils forment un carré parfait, géométrique, pur, compact, intrigant. Et pourtant en même temps déformable, mouvant, susceptible de prendre toutes les teintes à mesure que la chaleur de la lumière qui les éclaire varie.

Cette masse a la propriété géniale de valoir pour elle-même tout en étant la somme d’objets semblables mais distincts. Les fils auxquels sont suspendus les sacs sont reliés à des poulies, de sorte que deux manipulateurs à jardin, la plupart du temps relégués dans l’obscurité, peuvent les animer en tirant sur des cordes. Les ondulations du carré, ses balancements, ses va-et-vient, lui donnent effectivement des propriétés marionnettiques. Il peut être, non personnage puisqu’il n’y a pas spectacle au sens conventionnel, mais agissant. Il peut au contraire être agi, quand il est traversé par des corps humains qui le chahutent. Il peut scinder l’espace. Il peut être plancher ou plafond.

Ce dispositif se marie bien à la danse. Julie Nioche éprouve cette présence, dans l’affrontement ou dans la synchronicité. Elle la subit comme elle la repousse, et ses évolutions au milieu de la masse sont particulièrement intéressantes et belles : les sacs peuvent la cacher, en tout ou partie, ou révéler sa présence par les perturbations qu’elle crée dans leur ordonnancement. Les possibilités, de ce point de vue, sont explorées assez loin – peut-être même au point qu’on a le temps de trouver que les choses se prolongent un peu. On est également un peu réservé quand à la qualité intrinsèque du geste chorégraphique, face à de la danse contemporaine dont l’expressivité ne nous semble pas toujours en adéquation avec ce qui se joue au plateau.

Les mouvements des objets comme de la danseuse s’accordent bien également à la musique. Dire que mouvement et musique peuvent s’épouser, c’est énoncer une évidence : démonstration en est faite à nouveau ici. Avec ce petit bonus que les poulies actionnées pour manipuler la masse des sacs y vont de leurs petits couinements, qui se joignent à la musique très puissante de Sir Alice et s’y fondent, dans un ballet de rythmes et d’images.

Et les images, justement, sont belles. Le dispositif joue incroyablement bien avec la lumière. Les tableaux sont souvent très beaux, du corps de la danseuse dominant la masse ou au contraire noyée ou écrasée par elle. Il n’y a rien au plateau qui ne serve : ainsi les fils des sacs, quand le carré est en position « plancher », forment comme une forêt que les quatre interprètes peuvent jouer à traverser.

A quelques reprises, Renaud Herbin joue avec ses talents de marionnettiste pour user d’effets d’apparition et de disparition.

Tout cela est assez captivant. En l’absence même d’une trame narrative, on est facilement emporté par la beauté des figures et des mouvements, même si l’émotion ne point qu’à de rares endroits, ce qui peut être l’écueil d’une proposition hyper esthétisée.

En revanche, on peine à comprendre la moitié de la proposition, qui semble, elle, vouloir retourner vers le spectaculaire, sans qu’on ne comprenne ni son sens ni son intérêt. Ainsi, le début du spectacle voit le dévoilement d’une marionnette à fils humanoïde tenue par Renaud Herbin à l’avant-scène. S’ensuit une interaction lente, à la gestuelle mesurée, où le couple marionnette-manipulateur éprouve la gravité et la manière de la vaincre. C’est assez beau, comme un buto marionnettique, et, après tout, c’est un indice de lecture intéressant pour ce qui suit : rechercher la suspension, éprouver la gravité, jouer sur le lien que constitue le fil, comme une démonstration des principes qui vont sous-tendre la suite et la relient à l’art du marionnettiste. Pourquoi pas.

Là où Renaud Herbin nous perd c’est quand il fait revenir cette marionnette à la fin de la proposition. Son irruption ne nous semble plus avoir de sens. Les interprètes se la passent avec la lenteur très solennelle d’un rituel qui échappe aux spectateurs, qui ne savent plus bien si, en définitive, il y a un fil narratif à tirer de ce qui semblait jusque là une performance plutôt réussie.

Dommage, car sans cela on serait ressorti extrêmement séduit par cet objet spectaculaire (ou pas?) non identifié.

En l’état, il n’est pas possible de nier qu’il y a dans At the still point of the turning world une grande maîtrise technique, et une rencontre extrêmement séduisante de trois univers. Mais on reste un peu décontenancé face à l’irruption de la marionnette à fils dans une séquence de fin qui paraît largement dispensable, surtout que la proposition est un peu longue. Et on peut regretter que l’émotion ne soit pas plus présente – d’autant plus que danse et musique en sont des vecteurs habituellement très efficaces.

Il serait extrêmement intéressant, également, de voir ce que le même dispositif donnerait dans une installation pure, où les mouvements et la musique seraient pré-programmés, et les visiteurs libres d’évoluer autour de la masse ou en son sein – de l’éprouver pour eux-mêmes et par eux-mêmes. Une piste à creuser ?

Conception : Renaud Herbin
En collaboration avec Julie Nioche, Sir Alice et Aïtor Sanz Juanes
Avec : Julie Nioche (Lisa Miramond en alternance), Renaud Herbin,
Sir Alice et Aïtor Sanz Juanes
Espace : Mathias Baudry
Marionnette : Paulo Duarte
Lumière : Fanny Bruschi
Construction : Christian Rachner
Régie générale de création : Thomas Fehr
Régie générale de tournée : Olivier Fauvel
Visuels: (c) B. Schupp

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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