L’amour introduit avec les Indes Galantes à la Société des Nations, au Grand Théâtre de Genève
Après les avoir exécutées à l’Opéra de Paris cet automne dans une version krump signée Clément Cogitore et Bintou Dembélé, le chef argentin Leonardo Garcia Alarcon et sa Capella Mediterranea créent pour la première fois l’Opéra-ballet de Jean-Philippe rameau Les Indes Galantes (1735) au Grand Théâtre de Genève. Avec les beaux chœurs du Grand Théâtre de Genève, certaines découvertes merveilleuses parmi les solistes et une mise en scène élégante c’est une fresque à la fois baroque et contemporaine que vous pouvez voir et entendre jusqu’au 29 décembre à Genève.
En un prologue et quatre «entrées », Les Indes Galantes montrent en chant et en danse, cinq situations amoureuses où l’on se bat pour une belle, volontiers venant de deux camps et ce, jusqu’à faire trembler tous les éléments : dans l’introduction, le camp d’Hébé s’oppose à celui de Bellone et Lydia Steier tirera ce fil rouge de l’amour (en pyjama de soie sensuelle) contre la guerre (en violent uniforme noir) pour le recomposer parfaitement à chacun des quatre tableaux : celui des turcs, des incas, des persans de la fête des fleurs et enfin les fameux sauvages et de leur Rondeau mythique qui va jusqu’à rythmer une des dernières séries politiques de Canal +
L’oeuvre est superbement scénographiée. Sur la scène, l’on voit un théâtre, dans une mise en abyme de la Société des Nations à Genève et avec un effet miroir qui nous avait déjà bluffé dans Les Contes d’Hoffmann de Robert Carsen. La vision par Staier des Indes Galantes est à la fois sensuelle (les mouvements de foule), souvent violentes (les scènes de bastons) et mélange au fur et à mesure les deux populations qui finissent toutes à ressembler à des réfugiés dépenaillés sur le radeau de la méduse, chez qui les atours kitschs de l’exotisme (coiffes à plumes, habits de lumières, cornes de cervidés) ne sont plus que des gimmicks inintéressants. L’on sort donc de manière intelligente du tour du monde des histoires galantes par la super-puissance européenne pour aller vers une histoire commune et universelle de batailles et de destruction (les deux derniers tableaux voient la scène du théâtre remplie de gravats comme le Berlin de 1945).
Le point fort de cette histoire de désastre et la petite lumière pour la Société des Nations est que ce récit commun se raconte et se négocie, par la parole et par l’amour, entre les coups et les effusions de sang. Rendant Rameau contemporain – notamment par quelques remarques des personnages féminins qui veulent être autre chose que l’objet des combats- sans jamais dénaturer le combat fondamental entre les dieux, elle fait une proposition intelligente. De plus, elle met en avant les corps et dirige habilement notre œil vers le ballet, qui constitue la moitié exactement de l’oeuvre de Rameau. Malheureusement, malgré quelques transes expressionnistes marquantes, les propositions du chorégraphe Demis Volpi n’ont ni la modernité, ni la cohérence de celles de la metteuse en scène. On ne comprend pas bien comment lier une danse de dos du Roi-Soleil aux corps enlacés ou aux convulsions d’un danseur que nul ne peut retenir de trembler. Quand on sait combien de grands chorégraphes contemporains se sont penchés sur Rameau, l’on regrette un peu ce flou que l’on ressent, notamment dans le duo imposant du début de la “troisième entrée”, qui est long, technique mais ne passe pas assez d’émotion.
L’émotion vient donc vraiment depuis les voix, notamment celles du Chœur du Grand Théâtre de Genève, qui nous saisissent dès le début et nous éblouissent franchement dans les deux dernières entrées, les chanteurs prenant de l’altitude sur les gradins du théâtre pour nous livrer un “Triomphez, agréables Fleurs” et bien sûr un “Forêts paisibles” merveilleux. Du côté des solistes, parmi les nombreuses prises de rôle, Kristina Mkhitaryan impressionne de puissance dans trois rôles principaux différents en près de 3h30 : Hébé, Emilie et Zima. En Amour et Zaïre et avec une présence scénique de feu, Roberta Mameli est notre grand coup de cœur de ces Indes galantes, même si l’air unique de Amina Edris en Fatime “Papillon inconstant” nous donne très envie de la suivre et de l’entendre encore. Du côté des voix masculines, le timbre du ténor Cyril Auvity est très marquant, et nous emporte tout de suite dans les messages de paix et d’amour de Valère (et dans ceux séducteurs de Tacmas).
Côté musique, désormais habitués de l’oeuvre, Leonardo Garcia Alarcon et la Cappella Mediterranea nous ont surpris par certains choix de rythmes et des flottements, notamment du côté des flûtes. Ils ont été applaudis à tout rompre par le public du Grand Théâtre de Genève, qui a la chance de les entendre souvent (King Arthur et Médée dans les deux dernières années). Les Indes galantes sont sont donc à voir et à entendre jusqu’au 29 décembre au Grand Théâtre de Genève et il reste quelques places, ici.
Visuels (c) Magalie Dougados