Marionnette
Hen, la poupée queer de Johanny Bert s’empare d’Avignon

Hen, la poupée queer de Johanny Bert s’empare d’Avignon

09 July 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

L’artiste compagnon au Bateau Feu, Scène Nationale de Dunkerque, propose dans le OFF d’Avignon un cabaret acide et caustique sur fond de godes, de paillettes et d’amour impossible. Interdit aux moins de 14 ans.

La dernière fois q’une marionnette nous avait retournés à ce point c’était Jerk de Jonathan Capdevielle où le personnage violait des cadavres. Ambiance. Là c’est moins gore et plus gay. Sur la scène du cabaret tout ourlée de néons vert, elle ou il apparaît, après une arrivée tout en flou, en diva à plumes. Elle nous chante “Je veux être aimée pour moi-même/Et non pas pour mes ornements/ Je veux être adorée quand même/ Sans cheveux, sans chair et sans gants” et l’on reconnait “Éternelle” de Brigitte Fontaine et tout de suite, on frissonne, le sourire vissé aux oreilles. 

Ce pantin-là qui “glisse d’il en elle” nous offre un tour de chant manifeste où, comme dans tout cabaret transformiste, les mots giflent. Elle est troublante ou troublant, c’est comme il ou elle veut. Après tout elle n’existe pas, elle nous le dit beaucoup. Elle nous dit aussi que dehors elle se ferait tabasser. Ce qui trouble, c’est le vrai. Elle a beau être une fiction, tout est vrai. Pour de vrai on casse du pédé à Paris et ailleurs en 2019. Mais comme c’est insupportable et comme l’écrit Olivier Py dans l’Amour vainqueur, “écrivez des chansons tristes qui soient des chanson gaies”, le pire passe mieux dans le rire.

Les chansons de la diva sont un mix de tubes du répertoire travesti (Ah, “Le tango du suicide” !) et de textes écrits pour Hen. Ah oui, Hen, et elle nous l’ordonne : prononcez “Heune”. Hen est un “pronom suédois non genré permettant d’éviter toute forme de discrimination”. Sur scène il y a cette créature pas vraiment seule. Comme elle est star, elle est tout le temps collée au cul par deux garçons en noir. Et puis à ses pieds, elle se paie un orchestre composé du violoncelliste Guillaume Bongiraud (The Delano Orchestra) et du percussionniste Cyrille Froger qui  jouent live.

Cette marionnette très spectaculaire a été créée par le plasticien-sculpteur brésilien Eduardo Felix et Pétronille Salomé a cousu les tonnes de costumes flamboyants de la belle. Hen étrille et écrase les connards de la Manif pour tous. “Je suis le trouble-fête du patriarcat/Un sans identité conforme, un paria/Ou même pire, un pirate du genre, tu vois !/Pour toi, je suis pire que le choléra/Je voudrais tant crever les yeux/A ces prêcheurs ces bien-pensants/Qui parlent tous au nom d’un Dieu/On s’en fout / il est mort depuis longtemps/Si mon Dieu était une licorne, multicolore/Je ferais l’amour avec les fées/Je pourrais croire en l’homme encore/Sous les paillettes la liberté.”

Et sans grande transition il/elle avoue ses amours sans issue. L’occasion d’une chanson originale de Pierre Notte, écrite pour Hen ( c’est chic !). “Je t’aime à en crever” est archétypal de la mélancolie queer. A la voix, on découvre Johanny Bert excellent chanteur avec une voix à la Albin de la Simone, douce et engagée.

On sort de là sans le vouloir, avec juste l’envie d’y retourner, parce que la bulle d’Hen est libre et rare, parce que les cons sont dans les rues, parce que la seule porte de sortie est de s’enfermer dans les cabarets pour chanter les amours rêvées. 

Hen est un chef d’oeuvre, un coup de talon aiguille dans le vieux monde. A voir en urgence au Train Bleu jusqu’au 24 à 17H10 (Durée 1H10)

Visuel : ©Christophe Raynaud de Lage

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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