Cirque
“Les Dodos”: un trésor de sensibilité circassienne sous la volière du Monfort

“Les Dodos”: un trésor de sensibilité circassienne sous la volière du Monfort

15 September 2020 | PAR Mathieu Dochtermann

Virtuoses, drôles, pertinents, fragiles, et finalement très humains, tels sont ces Dodos qui sont accueillis jusqu’au 20 septembre par le Monfort à Paris. Un spectacle de cirque où la performance ne l’emporte pas sur la sensibilité ni sur une certaine finesse, une proposition trompeusement simple qui recèle de véritables trésors. Les volatiles enchaînent acrobaties, main à main, portique coréen, sur une très jolie partition musicale jouée en direct. Le public est debout, tous les soirs, et c’est amplement mérité.


Le P’tit Cirk : drôle de nom de compagnie. Les Dodos : drôle de nom de spectacle ! Mais finalement, quand on s’éloigne du chapiteaux de la bande de zigotos après avoir partagé un verre au bar, on finit par convenir que, malgré leur côté peu gracieux, ces étranges volatiles constituent sans doute une bonne mascotte pour ce spectacle.

Un univers barré d’agrès bien accordés

Les Dodos commence par planter très intelligemment son décor. Sur la piste circulaire d’un chapiteau à taille humaine, un premier homme vient se planter debout en équilibre sur une guitare. Ses quatre comparses le rejoindront au fur et à mesure dans la même posture, plutôt pas banale. Quand Alice Barraud, Pablo Escobar, Basile Forest, Louison Lelarge et Charly Sanchez commencent à vouloir se déplacer sans pour autant en descendre, le risque de chute se fait aigu en même temps que les dents grincent pour ces instruments si rudement malmenés.

Voici donc les deux premières clés du spectacle. D’une part, plus que d’individus, il s’agit d’un groupe, d’une rencontre, d’un ensemble, qui jouera sa partition – circassienne et musicale – en toute complicité. D’autre part, la guitare servira bien d’instrument de musique mais sera surtout détournée de toutes les manières imaginables pour constituer et la scénographie, et les principaux agrès du spectacle, même si le portique coréen finira par prendre beaucoup de place. Qui n’a jamais vu une colonne à deux sur guitare aura le plaisir de découvrir cette nouvelle figure.

Une virtuosité de bon ton

Si les cinq artistes en piste jouent un peu la comédie de la maladresse, c’est pour mieux faire étalage de leur talent ensuite. Les deux voltigeurs se distinguent particulièrement par leurs prouesses, leur énergie débordante, leurs figures spectaculaires. Alice Barraud joue avec ses dehors de petite fille fragile pour masquer sa force et sa souplesse, fait montre d’une grande précision dans les portés, offre un très beau passage dansé au milieu d’un cercle de guitares. Pablo Escobar joue au risque-tout, un sourire en coin éternellement rivé aux lèvres, ses acrobaties sont impeccablement réalisées.

Mais cela ne doit pas éclipser la maîtrise de leurs camarades de piste, chacun dans sa partie. Basile Forest est un porteur non seulement puissant mais rigoureusement précis. Louison Lelarge réussit à faire un peu de tout, très proprement. Charly Sanchez est non seulement un metteur en musique de talent, mais les mélodies qu’il joue en direct constituent l’armature du spectacle, épousant – ou dictant ? – le rythme des corps, insinuant sa bonne humeur dans toutes les oreilles. D’ailleurs, tous les cinq artistes contribuera à jouer la partition, chacun à sa mesure et selon ses talents. On retient la tromtare de Louison – à moins qu’il ne s’agit d’une guipette ? – et la très belle maîtrise du violon de Basile Forest, qui offre aux Dodos quelques uns de leur moments les plus magiques, souvent en dialogue musique-corps avec Alice Barraud.

Un jeu plein d’humour

Comme (presque) tous les bons spectacles de cirque, Les Dodos a l’élégance de ne pas se prendre trop au sérieux, et de faire œuvre de créativité avec un esprit farceur et une légèreté très bienvenus. Il y a du convenu – les faux ratés qui menacent de finir au milieu des membres du public – mais surtout du sympathique, voire du loufoque, et cela va très bien au spectacle. De l’étui de guitare sur pattes au personnage clownesque joué par Charly Sanchez, qui fait mine d’être effrayé par la perspective de participer aux acrobaties du groupe, l’humour, toujours, est en filigrane. Voilà encore une des armatures sur lesquelles reposent le spectacle. Il ne faut pas s’y tromper : ces toutes ces trouvailles visuelles et de jeu sont le fruit d’une longue recherche, et d’un savant dosage. N’est pas drôle qui veut !

Par ailleurs, la plupart des artistes se sont amusés à jouer avec leur personnage, à prendre les apparences à rebrousse-poils pour peindre davantage de nuances et surprendre le public. Alice Barraud joue de sa stature et de son visage angélique pour convoquer le registre de la fragilité, pour mieux imposer par la suite sa force et son tempérament bien trempé. Basile Forest émeut d’autant mieux qu’il désarme son personnage de porteur colossal par la douceur de son regard et la sensibilité de son jeu d’archet. La manière de travailler ces évolutions de façon très progressive ne manque pas de finesse, et donne de la profondeur à des personnages qui prennent chair d’une façon étonnamment consistante pour un spectacle de cirque muet.

Une conception toute en finesse

Car si Les Dodos est une réussite, il le doit beaucoup à la finesse avec laquelle le spectacle est écrit. Les différentes composantes – circassiennes, musicales, clownesques, théâtrales – sont dosées et réparties avec un vrai sens des équilibres en jeu. Sans doute le fait que le spectacle soit bien rôdé aide-t-il, mais chaque artiste peut trouver sa place tout en faisant clairement partie d’un ensemble, sans fausse note. Jamais l’un des aspects du spectacle ne cannibalise les autres, et l’attention du public est maintenue sans le moindre accroc de la première à la dernière minute. On peut y voir l’expérience de Christophe Lelarge et de Danielle Le Pierrès, les fondateurs de la compagnie, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un travail collectif où les cinq circassiens ont participé à donner sa forme à l’objet spectaculaire.

On apprécie les clins d’œil aux arts traditionnels de la piste et les détournements auxquels ils donnent lieu, telle cette scène très drôle faisant référence au dressage équestre, avec un Louison Lelarge particulièrement inspiré. On apprécie aussi l’intelligence du traitement de certains thèmes, par exemple autour du personnage d’Alice Barraud. Si elle commence le spectacle dans le registre de la faible femme au milieu du groupe d’hommes musclés et potentiellement dominateurs, parfois soulevée, entraînée, bousculée contre son gré, elle parvient finalement à s’imposer comme sujet : c’est elle qui décide de la longueur de sa robe, c’est elle aussi qui décide de montrer sa poitrine, et ce sont finalement les personnages masculins, dépassés, qui tentent de contenir cette insolente liberté. Ce jeu sur l’émancipation de la femme-objet, qui de cible d’un regard désirant devient maîtresse dans sa propre sphère, est très intelligemment menée.

Face à la fragilité tragique de l’existence, l’amour est la clé

Le vrai secret des Dodos, peut-être et en définitive, se trouve caché dans une tonalité tragique très discrète. Le volatile mascotte en donne d’ailleurs l’indice : trop maladroit et inadapté pour survivre à l’arrivée des hommes, n’a-t-il pas disparu de la surface de la planète ? Comme lui, les cinq personnages – et les cinq circassiens – ont leurs faiblesses. Ils se cherchent. Ils se mettent en danger, hors de leur zone de confort. Ils se blessent, ou ils sont blessés. Ils doutent. Comme les dodos, ils sont finalement fragiles, à contre-emploi de l’artiste de cirque invincible qui éblouit le public par ses prouesses. Comme lui, ils pourraient disparaître.

Cette dimension tragique ou pathétique n’est jamais fortement affichée, peinte à gros traits, ou même revendiquée comme tonalité. Et c’est tant mieux. C’est parce qu’elle est instillée par petites doses qu’elle touche au cœur : en la matière, l’emphase est ennemie du sensible. Cette fragilité sous-jacente rend les personnages profondément humains, extrêmement proches et émouvants. Il se crée une empathie de groupe très forte, non seulement entre les artistes, mais également avec le public, et on peut parier qu’elle est doit beaucoup à cette fragilité sous-jacente.

Peut-être, aussi, la clé réside-t-elle dans une chose toute simple, mais avec laquelle on ne peut tricher : le plaisir extrême que les cinq comparses partagent visiblement, et l’affection sincère qu’ils ont les uns pour les autres. On a capté quelques regards sur la piste qui étaient faits de pure complicité. Quand les yeux d’Alice Barraud, à la dérobée, se posent avec une tendresse amusée sur l’un de ses camarades, brillant d’une affection qui trouve son écho dans un sourire fugace, on sait qu’on tient là un bout d’authenticité. Ce sont ces regards, ces petits gestes, qui tissent la trame de la toile invisible qui finit par embrasser les spectateurs pour les lier en un groupe vibrant au diapason, qui a du mal à se disperser une fois le spectacle fini.

A découvrir sans hésitation au Monfort jusqu’au 20 septembre, puis en tournée:

Du 16/10/20 au 19/10/20 >> Festival Second Geste – Saint Pair sur Mer (50)

Du 15/11/20 au 12/12/20 >> Le Grand T – Nantes (44) (Parc des Chantiers

– Île de Nantes) – (représentation du 15 Novembre dans le cadre de la Nuit

du cirque)

Du 05/03/21 au 07/03/21 >> La Ferme du Buisson – Marne la Vallée (77)

Du 12/03/21 au 28/03/21 >> Théâtre Firmin Gémier / La Piscine, Pôle

national cirque – Espace cirque d’Antony (92)

Du 16/04/21 au 18/04/21 >> L’Entracte – Sable-sur-Sarthe (72)

Du 30/04/21 au 04/05/21 >> Théâtre de la Coupe d’Or – Rochefort (17)

Du 18/05/21 au 21/05/21 >> La Souris Verte – Epinal (88)

Du 28/05/21 au 30/05/21 >> La Nacelle – Aubergenville (78)

 

Création collective, de et avec : Alice Barraud, Pablo Escobar, Basile Forest, Louison Lelarge et Charly Sanchez
Accompagnés à la mise en piste par : Sky de Sela, Christophe Lelarge, Danielle Le Pierrès
Régisseur chapiteau/lumières : Maël Velly
Technicien plateau : Marco Le Bars ou Christophe Lelarge ou Alex Olléac
Conception/construction, scénographie : Guillaume Roudot
Création lumières : Dominique Maréchal
Accompagnement pour les costumes : Anouk Cazin
Administration/Production : Marie Münch
Diffusion : AY-ROOP
Visuel: (c) Aristide Barraud

L’agenda classique et lyrique de la semaine du 15 septembre
La 6e édition du Festival 7.8.9 aura bien lieu !
Avatar photo
Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration