Cirque
“TRAIT(s)”, un spectacle de cirque graphique de grande qualité pour tous les publics

“TRAIT(s)”, un spectacle de cirque graphique de grande qualité pour tous les publics

24 March 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

Le spectacle TRAIT(s), de la Cie SCoM – Coline Garcia, se présente comme un essai de cirque graphique à l’adresse de tous les publics, jeunes comme moins jeunes. Il est en ce moment à l’affiche du festival SPRING et il jouera le 29 mars à Saint-Pair-sur-Mer. Plus qu’un essai, c’est une réussite : une œuvre complète qui mêle écriture circassienne, picturale et musicale, qui fascine les enfants et enchante les adultes. Un bijou d’intelligence et de sensibilité.


Un environnement qui ne doit rien au hasard

La représentation de TRAIT(s) commence par l’accueil du public sur un petit gradin circulaire, par les deux interprètes qui seront ensuite en piste. Julia Tesson, la circassienne, et Romaric Bories, le musicien (qui sont les deux interprètes de la représentation à laquelle nous avons assisté à la BIAC au Théâtre du Sémaphore), affichent un large sourire, placent les familles, distribuent consignes et salutations. Cela peut paraître innocent, mais c’est à cela, aussi, que se joue une représentation paisible et une bonne qualité d’écoute. Et que le rapport scène-salle se construit sur de bonnes bases.

Le placement sur le gradin est loin d’être anecdotique, car inscrit d’office le spectacle dans deux dimensions. D’une part celle de l’espace circulaire, avec un public distribué presque à 360°, cet “espace des points de vue” cher à Johann Le Guillerm et si caractéristique du cirque traditionnel – même s’il s’agit ici très clairement de cirque contemporain. D’autre part celle de la proximité, avec des spectateurs et des spectatrices installés très près de la piste, presque au contact des interprètes, qui ne se gêneront pas d’ailleurs pendant le spectacle de venir chercher leur regard ou frôler leurs orteils, dans une adresse qui ébrèche constamment le quatrième mur.

Le public est donc invité à entrer dans la proposition, avec beaucoup de bienveillance, et un évident savoir-faire. Cela le met en condition pour recevoir la richesse de ce qui va graduellement être installé sur la piste.

Une écriture fine et originale

TRAIT(s) est un spectacle écrit avec beaucoup de finesse et de sensibilité, à l’aide des trois instruments que sont le corps en mouvement, la musique et la peinture. C’est une proposition non pas cérébrale – même si on peut jouer à la disséquer à l’envi – mais sensible, une partition muette composée en long crescendo, un univers sans narration mais pas sans histoire. Qu’il n’y ait pas de récit ne gêne à aucun moment : même si les séquences qui s’enchaînent ne sont pas autant de péripéties vécues par un protagoniste, il y a très clairement une écriture qui guide l’ensemble.

Cette progression se fait sur les trois plans en même temps – physique, musical, pictural – et va dans le sens d’une complexité et d’une intensité croissantes. A partir d’une entrée très sobre et progressive, qui joue avant tout sur le dessin et amène la musique par touches graduelles, TRAIT(s) chemine lentement mais sûrement vers un climax où le corps et la couleur explosent, accompagnés par les improvisations joyeuses du saxophone soprano. Une écriture pertinente, qui d’un rythme assez lent au départ va vers des vagues de plus en plus fortes de stimuli soutenus, toujours renouvelés. Un voyage, en somme, de l’ordinaire vers l’extraordinaire.

L’intelligence du public n’est jamais minorée : même s’il n’est pas sûr que tous ses membres comprendront systématiquement toutes les références ou tout ce qu’ils ont sous les yeux, il reste toujours suffisamment pour se nourrir, chacun.e à son niveau, adultes compris. C’est ainsi qu’un agrès de cirque peut à un moment donné figurer une porte ou un seuil. C’est ainsi qu’un dessin servant de modèle est laissé à vue tout le spectacle, pour aider à comprendre ce que la circassienne dessine ensuite au sol sur une grande feuille de papier. C’est ainsi que le miaulement d’un chat dessiné à un endroit de la piste peut être vocalisé par un interprète qui se tient à plusieurs mètres. C’est ainsi que les influences picturales – Kandinsky, Miró ou Delaunay – seront éventuellement décryptées par les adultes, mais échapperont aux enfants. Et peu importe. De cette stimulation globale, il restera toujours quelque chose pour nourrir les regardants.

Trois langages pour un geste global

Sur le plan de l’écriture circassienne, Colline Garcia a choisi la roue Cyr comme agrès et comme pinceau. Car il s’agit ici de faire double emploi : la roue n’est pas juste l’instrument de cirque qui permet à l’interprète de faire ses figures virtuoses, mais elle sert aussi le geste graphique. La séquence pendant laquelle la Julia Tesson reproduit sur une feuille de papier géante le dessin d’un chat à l’aide de sa roue Cyr enduite de peinture bleue est bluffante : on ne s’attendrait pas à une telle qualité de trait.

Deux roues sont successivement mobilisées. La première, de taille normale, permet de montrer les possibilités offertes par l’agrès entre les mains d’une spécialiste : les figures sont élégantes ou spectaculaires, mais les plus simples sont parfois les plus efficaces, comme quand la roue, lancée, tourne d’elle même autour de la piste, ce qui laisse les jeunes spectateurs ébahis. Les acrobaties font évidemment recette, mais elles sont utilisées à bon escient et avec parcimonie, sans volonté de sidérer par une virtuosité envahissante. La deuxième roue, inhabituelle car très petite par rapport à la taille de Julia Tesson, sert avant tout au geste graphique, mais donne tout de même lieu au prolongement du mouvement circulaire qui avait été entamé par sa grande sœur.

Du côté pictural, TRAIT(s) travaille sur le dessin et sur la trace, mais aussi sur la joie de créer, la liberté du geste, avec une dimension un peu transgressive du corps engagé dans le geste graphique – avant même que Julia Tesson ait eu l’occasion de multiplier les acrobaties dans la peinture fraîche et en finisse couverte, elle avait commencé par peindre au doigt tandis que son compère musicien piétinait allègrement dans une flaque de peinture tombée de son saxophone. Peinture projetée, lignes tracées au pinceau, marques du passage des roues Cyr, empreintes de pas, l’espace de jeu se fait de plus en plus coloré, saturé, mélangé, avec partout des échos de la forme circulaire, de la boucle. Ici, le trait ne divise ni n’enclot : les lignes sont des lignes de vie, qui relient et qui font émerger le sens et la beauté au milieu du vide de la page blanche – ou du tapis de danse noir.

Du point de vue musical enfin, la figure du cercle est reprise par l’utilisation du motif de la boucle. Toute la musique est jouée en direct, ce qui permet d’instaurer une sensibilité particulière entre le geste et l’accompagnement. Romaric Bories y superpose de brillantes improvisations au saxophone, dans des échappées pleines de liberté et de vivacité. Les jeunes spectateurs et spectatrices adhèrent complètement à ces sonorités jazzy, quelle que soit leur complexité par ailleurs, preuve s’il en est qu’on ne doit pas renoncer à offrir le meilleur à leurs oreilles !

Un spectacle où souffle le vent joyeux de la créativité

Les plus jeunes membres du public ont les yeux rivés sur la roue Cyr dès qu’elle apparaît, mais ils sont également fascinés par la peinture… et par le fait que des adultes puissent en renverser au sol par pots entiers, patauger dedans, jouer avec à s’en couvrir de la tête aux pieds. Cette dimension transgressive du spectacle – à ne pas confondre avec régressive – peut aussi permettre aux adultes de mesurer à quel point ils ont perdu leur joyeuse inventivité en vieillissant… ou pas, s’ils ont la chance de jouer encore avec ce même abandon. On sent, en tous cas, la forte attraction que cet aspect du spectacle exerce sur les enfants, et on sent chez certaines et certains une tentation de se joindre à la fête !

Car il s’agit ici, avant tout et fondamentalement, de jeu et de prise de risque – d’art en somme ? De montrer qu’en s’affranchissant des limites habituellement imposées, en plongeant les mains dans la peinture ou en tournant dans une roue la tête en bas, l’artiste construit un univers différent, qui n’obéit pas aux règles habituelles. Un univers joyeux, où l’expérimentation est possible, où l’imprévu a toute sa place, et l’improvisation, et la tâche aussi. Qui, mieux qu’un enfant, peut ressentir profondément la vérité de ce message, que la liberté et le jeu sont la clé d’un monde plus intense et plus coloré ?

TRAIT(s) est un spectacle à recommander à toustes : aux enfants qui peuvent découvrir la joie lumineuse que recèle un bon spectacle de cirque, qui ne renonce pas à être une œuvre totale, et aux adultes qui ne seront pas insensibles à la subtilité de la proposition.

TRAIT(s) a une riche tournée, et cela vaut largement le coup de vérifier si le spectacle passe près de chez vous après le festival SPRING.

 

GENERIQUE

Mise en piste, scénographie Coline Garcia
Collaboration à la mise en piste Nathalie Bertholio
Interprétation Marica Marinoni, Elena Damasio, Robyn Haefeli et Julia Tesson

Musique en live Jonas Chirouze, Lucas Desroches et Romaric Bories
Regard amical Remy Benard
Création lumière Julie Malka

Photo © Sylvain Scubi

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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