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Une soirée Richard Strauss de luxe avec Asmik Grigorian et le Philharmonique de Radio France

Une soirée Richard Strauss de luxe avec Asmik Grigorian et le Philharmonique de Radio France

04 April 2023 | PAR Denis Peyrat

C’est un programme entièrement consacré au répertoire lyrique de Richard Strauss que proposait l’Orchestre Philharmonique de Radio France samedi 1er avril, le cinquième dans le cadre d’une série de sept concerts qui lui sont consacrés tout au long de la saison. C’est la soprano lituanienne Asmik Grigorian qui a surtout impressionné dans son interprétation d’extraits de Salomé et Elektra, sous la direction expressive et précise de Fabien Gabel.

Une fois n’est pas coutume c’est à la Philharmonie de Paris et non au grand auditorium de la maison ronde que le public avait rendez-vous avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France et son directeur musical Mikko Franck. Mais celui-ci, malade, a finalement laissé la place en dernière minute au jeune chef français Fabien Gabel, qui lui-même avait du renoncer à diriger le concert Strauss du 23 mars suite aux mouvements sociaux.
Dans ces conditions le programme du concert était finalement amputé de La légende de Joseph, “fragment symphonique” très rarement programmé et qu’on espère pouvoir découvrir lors d’une prochaine saison.

La première partie du concert était consacrée aux Quatre interludes symphoniques, op 72 issus de l’opéra Intermezzo. Cette pièce orchestrale reprend quelques uns des douze moments de transition symphonique qui ponctuent l’œuvre lyrique de 1924 et en caractérisent les différents personnages.  Sous la baguette alerte de Fabien Gabel, le Philhar’ déploie de superbes sonorités et sait parfaitement en restituer les différentes ambiances, calme dans le deuxième mouvement, voir chambriste et enfin plus enlevée dans le dernier, dans lequel un rythme de valse n’est pas sans rappeler le finale de la suite orchestrale que le compositeur tirera en 1945 de son autre opéra emblématique Rosenkavalier.  

Puis l’orchestre était rejoint par Asmik Grigorian pour plusieurs extraits de deux des plus remarquables opéras du compositeur : Elektra et Salomé. La soprano lituanienne d’origine arménienne, fille du célèbre ténor Gegam Grigorian a fait beaucoup parler d’elle depuis quelques années et s’est illustrée entre autres dans les rôles de Jenufa et Rusalka. A Paris cependant elle n’a encore pu se produire sur scène, sa Lisa de la Dame de Pique à l’opéra Bastille ayant du être remplacée par des concerts Tchaikovsky pendant le COVID. Mais son implication scénique et son talent incandescent ont séduit de nombreux publics européens, comme dans son interprétation de Suor Angelica et des deux autres rôles du Trittico de Puccini au festival de Salzbourg 2022.     
Plus que la voix ou le timbre, pas particulièrement lumineux, ce qui frappe d’abord dans son interprétation du monologue de Chrysothémis c’est l’attention portée au texte, en permanence intelligible malgré la puissance de l’orchestre. Il porte ainsi toute la force de la caractérisation du personnage, jusqu’à la proclamation de son identité “Je suis femme et veux le sort des femmes”.

Mais c’est surtout dans Salomé que l’on atteint les sommets de ce concert, grâce à la juxtaposition de deux extraits d’une force étonnante : la danse des sept voiles et la scène finale. La danse, probablement l’un des plus extraordinaires compositions de Strauss pour l’orchestre, est aussi une formidable démonstration d’alchimie de timbres, au gré de ses mélodies orientalisantes successives de plus en plus exaltées au gré de l’effeuillage de la jeune femme devant Hérode. L’orchestre déploie ses plus belles sonorités, grâce à des cordes d’une superbe homogénéité et une petite harmonie exceptionnelle, aux premiers rangs desquels le hautbois envoutant d’Olivier Doise et la flute non moins sensuelle de Mathilde Calderini. Fabien Gabel, très attentif aux détails, obtient une belle transparence ainsi qu’un magnifique étagement des dynamiques avec une montée en puissance très progressive jusqu’à l’exultation finale, secondé par un très beau pupitre de percussions. 

La scène finale est l’occasion pour la soprano de faire valoir ses magnifiques moyens vocaux, qui n’ont pas de peine à émerger au dessus de l’orchestre portant fort de plus de 100 musiciens. Maitrisant parfaitement les inflexions du texte, la chanteuse est capable d’une belle variété d’expressions y compris la tendresse quand elle évoque le regard de Saint Jean Baptiste “Si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée !”  L’intensité dramatique est enfin à son paroxysme quand l’héroïne, sous un rayon de lune, embrasse enfin la tête coupée du prophète : “J’ai baisé ta bouche, Iokanaan !” Avant que le roi Hérode, horrifié par ce spectacle, ne décide de la faire écraser par les boucliers de ses soldats, dans un ultime cataclysme orchestral dissonant.  

Triomphatrice de la soirée, Asmik Grigorian recueille une ovation méritée de la part d’un public enthousiaste, même si quelque peu clairsemé. On a maintenant hâte de l’entendre et la voir brûler les planches dans la capitale, mais hélas ce ne sera encore pas la saison prochaine, ni à l’Opera de Paris, ni au TCE.

En attendant, ce magnifique concert capté par Arte est visionnable en replay pendant 6  mois :

Crédits photos :
Asmik Grigorian © Algirdas Bakas
Concert : © Christophe Abramowitz / Radio France

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Denis Peyrat
Ingénieur exerçant dans le domaine de l'énergie, Denis est passionné d'opéra et fréquente les salles de concert depuis le collège. Dès l'âge de 11 ans il pratique également le chant dans diverses formations chorales, en autodidacte mais avec une expérience qui lui permet à présent de faire partie d'un grand chœur symphonique parisien. Il écrit sur l'opéra et la musique classique principalement. Instagram @denis_p_paris Twitter @PeyratDenis

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