Fictions
« Le Passager » de Cormac McCarthy : “I am the passenger / And I ride and I ride”

« Le Passager » de Cormac McCarthy : “I am the passenger / And I ride and I ride”

04 April 2023 | PAR Julien Coquet

Il aura fallu attendre seize ans, depuis la parution de La Route, pour prendre connaissance du nouveau roman de Cormac McCarthy. Alors, l’attente en valait-elle la peine ?

Certains auteurs américains adorent se faire désirer : Bret Easton Ellis (dont le nouveau roman, Les Eclats, paraît actuellement chez Robert Laffont), Jeffrey Eugenides (neuf années d’attente entre Middlesex et Le Roman du mariage), Donna Tartt (onze ans entre Le Petit copain et Le Chardonneret)… Ici, dans le cas de Cormac McCarthy, il aura fallu patienter seize ans entre La Route, publié en 2006 aux Etats-Unis et lauréat du prix Pulitzer en 2007, et Le Passager (The Passenger), publié en 2022 et traduit et publié en France en 2023 par les éditions de l’Olivier. Et le vieil homme, âgé de 89 ans en 2022, ne revient pas avec un seul roman, mais accole à son Passager Stella Maris, sorte de prequel qui sera, lui aussi, disponible aux éditions de l’Olivier début mai. Depuis leur parution outre-Atlantique, on lit de tout sur ces deux romans : alors, Le Passager, génial et magistral ou œuvre mineure d’un écrivain majeur ?

Le Passager s’ouvre par deux événements marquants : on retrouve une jeune femme pendue à un arbre, dont le cadavre a complètement gelé, et, bien des années plus tard, en novembre 1980, on découvre un avion au fond de la mer, avec ces passagers encore à l’intérieur. Mais bien malin celui qui arriverait à prédire la suite de ce postulat de départ… Le héros du roman, Bobby Western, dont c’est la sœur qui repose au bout d’une corde, et dont les activités de plongeur de récupération le conduisent à l’épave de l’avion, est brinquebalé par Cormac McCarthy de La Nouvelle-Orléans aux plages d’Ibiza. Accompagné par une tristesse infinie (« Tout est douloureux pour moi. Je crois. Je suis peut-être juste une nature douloureuse. »), Western, qui a soulevé un lièvre en s’intéressant à l’avion immergé, s’enfonce dans une situation inextricable, perdant son compte en banque, sa voiture, son passeport…

Le Passager est loin d’être un roman classique, et peut-être même aimable, tant ce qu’il donne se refuse facilement à nous. Si l’intrigue policière qui semble se nouer au début peut intéresser, McCarthy ne la développe pas. Si les relations incestueuses entre Western et sa sœur intriguent, McCarthy n’en fait pas son sujet. Pas de fil narratif, donc, mais une succession de scènes, et surtout une succession de rencontres, de Oiler, vétéran de la guerre du Vietnam qui regrette de s’être amusé à tirer sur des éléphants, à Debussy Fields, né homme, mais devenu femme, à la beauté ravageuse. A cette galerie de personnages, Cormac McCarthy rajoute les grands thèmes de l’Amérique : l’assassinat de Kennedy, le poids de la bombe atomique (le père de Western a travaillé « à fabriquer des bombes pour faire sauter tout le monde »), la guerre du Vietnam, mais aussi des discussions techniques sur les mathématiques et la physique. Roman fourre-tout, qualifié par Marie Darrieussecq d’ « objet littéraire atomisé » dans Le Monde, Le Passager fatigue (longues et inutiles visions d’Alicia) autant qu’il intrigue. Et nous d’éviter la problématique que nous posions dans notre premier paragraphe…

« Tu réfléchis trop. Et je ne suis pas sûr de savoir à quoi. Je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête, de toute façon. Mais je suis sûr d’un truc, si j’avais tout ce que t’as dans le crâne je ferais pas ce boulot de merde.
Je croyais que tu adorais ça.
Ouais, bon, je sais que c’est sans doute le mieux que je puisse espérer et je suis un brave con pas ingrat.
Je n’ai pas la réponse à ta question, Oiler. Je sais juste que je n’irai pas. Dire que tout se passe dans la tête n’y change rien.
Ouais, bref. Je crois qu’il y a des choses qui nous font peur et on les fait quand même. On reste pas là à passer en revue toutes les raisons de ne pas les faire. Imagine que t’es dans la cloche de plongée et que t’as des raisons d’avoir peur de remonter par le sas. Ça pourrait être une de tes analogies. Si t’as peur, t’es coincé. Tu n’es pas nulle part. tu remontes sans fin par le sas. »

Le Passager, Cormac MCCARTHY, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Serge Chauvin, Editions de l’Olivier, 544 pages, 20,5 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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