[Live report] Sébastien Tellier à la Cigale
Un ancien musicien du métro à la voix flamboyante (Benjamin Clementine) et un ancien gourou chevelu d’une secte hédoniste (Sébastien Tellier) venu présenter au monde son dernier album studio quasi exclusivement instrumental : confessions, frissons et déceptions hier soir pour l’avant-dernière représentation du festival d’Île-de-France du côté de la Cigale.
La grosse claque Benjamin Clementine
Il y a quelques mois encore, Benjamin Clementine, accompagné d’une guitare acoustique et d’une voix dévastatrice, n’avait pour seul public que les voyageurs pressés des couloirs du métro parisien et les pensionnaires inattentifs de la ligne 2, au sein de laquelle il revisitait à sa manière les hymnes les plus universels de Bob Marley et consorts. Proclamé depuis digne continuateur de Keziah Jones et de Terry Callier, et descendu à la station Anvers pour rejoindre la scène de la Cigale, le britannique à la belle aventure et aux origines multiples (un peu de sang ghanéen, angolais, libérien et chinois…) a des histoires à raconter, et des confessions à offrir.
Ses textes aux histoires impossibles et déchirantes, ses accompagnements bouleversants au piano, ses pieds (nus) pour battre le rythme, son charisme hypnotique de séducteur assuré, sa voix haute et profonde pour percer l’éther de la Cigale et son atmosphère encombrée par une fumée d’ambiance : la séduction est immédiate et absolue.
Les poils se hérissent sur les bras comme les cheveux crépus sur la tête de l’artiste, et chaque morceau est salué par une belle et chaleureuse ovation. Un rappel, un récital d’une beauté affolante, et une belle grosse claque émotionnelle avant de se frotter à la première énonciation live du nouvel album du christ aux lunettes assombries.
Des confessions mitigées pour Sébastien Tellier
Par-delà les logiques carriéristes et les cohérences artistiques vagabonde l’âme décalée de Sébastien Tellier : après deux albums-concepts au sein desquels il dédiait son être tout entier à la sexualité (Sexuality), avant de se muter en gourou mystique à l’esprit bleuté (My God Is Blue), l’insondable Sébastien quitte les rivages de l’électro psychédoniste pour s’aventurer sur les chemins du classique orchestral et des confidences sans paroles (ou presque). Sur le bien-nommé Confection comme hier soir sur la scène de la Cigale, l’homme Tellier s’accompagne en effet, en plus d’un batteur accoutumé aux batailles afro-beat (Tony Allen), et d’une chanteuse tout en blanc en guise de sirène homérique, d’un grand orchestre de cordes, dans lequel se confondent violons, violoncelles, clarinettes et chef d’orchestre agitateur de bâton.
Au contraire de son homologue classique, Tellier, lui, ne s’agite pas beaucoup. Le gourou chevelu et barbu aux lunettes noires et à la chemise à motifs (on cru un instant s’être trompé de salle, et assister à un concert d’Antoine…) est toujours aussi drôle et déroutant, mais participe finalement assez peu au concert qui est en train de se donner sous ses yeux, victime assumée des plages instrumentales soporifiques et à rallonges des composantes de son dernier album. « Bon, je vais m’absenter pendant une heure » : franche hilarité d’une foule essentiellement composée d’aficionados invétérés du bonhomme et de hipsters à tee-shirts sans manches, mais cruelle réalité pour les autres.
Mis à part les quelques mugissements occasionnés par le premier extrait « L’Amour Naissant » et de ses deux jumelles (versions « II » et « III »), pastiches sans élan du mythique « Ritournelle », ces Confection-là ne parleront pas à grand monde, et ne donneront pas une folle envie d’être écoutées d’une oreille passionnément attentive.
Quelques lumières azur ont beau se faufiler parfois sur le visage de l’artiste et de son orchestre, on ne s’y trompera pas : plutôt que dans l’orgie électronique et clownesque favorisée par les dates de My God Is Blue, lourde sensation de se retrouver coincé au sein de la bande originale d’un film de Rohmer devant lequel on se serait assoupi, avant d’entrouvrir les paupières sur la fin pour avoir quand même quelque chose à en dire. Des roses jetées avec amour dans le public, quelques classiques de sa discographie revisités par Tellier au piano et par son orchestre (« Cochon Ville », « Roche »…), et, quand même, une très belle interprétation de « L’Amour et la Violence » reprise en chœur par la foule (« Dis-moi ce que tu penses de ma vie / de mon adolescence… ») Ce qu’on en pense ? Que l’électro orgiaque et les pépitos sont plus digestes que les fausses confessions / confections sans authenticité.
Ce qui est quand même très positif, c’est que le festival d’Île-de-France, lui, n’est pas encore tout à fait terminé : rendez-vous ce soir pour l’ultime concert du festival au Trianon et la performance très attendue du pianiste Yaron Herman.
Visuels : © Amélie Eleouet