[Best of 2016] Les 20 albums de l’année
Des albums, il en sort une quinzaine chaque semaine. Vous ne pouvez donc pas tout écouter (nous non plus d’ailleurs, c’est vrai). Il n’empêche qu’un petit point, au moment des fêtes, sur ce qui est sorti cette année, est toujours une riche idée. Voilà donc notre top 20 des albums les plus marquants de l’année 2016.
20. Pone, « Radiant »
Auto-radié de Birdy Nam Nam, qui poursuivent sans lui une carrière franchement flanchante, DJ Pone a croisé la route de Superpoze (qui a produit l’album), est devenu Pone, et a abandonné pour de bon les kicks et les concours de scratchs pour une electronica qui rappelle Sarh (son album produit avec José Reis Fontao de Stuck In The Sound) et qui rappelle, surtout, qu’une carrière, pour quiconque possède suffisamment de ressources, peut proposer des tournants inattendus. Douceurs, langueurs, et beats en apesanteurs : la très belle nouvelle vie d’un producteur vraiment étonnant, et vraiment talentueux.
19. C Duncan, « The Midnight Sun » / FatCat Records
Il est décidément brillant, C Duncan. Le nouveau Youth Lagoon (parce qu’il compose comme le jeune américain tout en home-studio) passe de la pop-folk épurée de son premier album à un son qui l’est tout autant, mais qui fait cette fois-ci part belle aux synthés. Après ou avant le soleil de minuit, peu importe : c’est beau comme tout, et ça fait voltiger, à l’image des très tendres « Nothing More », « Other Side » et du volatile « Wanted to Want it Too »
18. Mykki Blanco, « Mykki » / Dogfood Music Group
Mykki Blanco est transgenre. C’est-à-dire que les gens sont toujours embêtés lorsqu’il faut l’interpeller poliment sur un plateau télé. Et cette question du transgenre, elle est omniprésente au sein de ce premier album vénéneux, social et absolument troublant (« You don’t know me ») qui atteint son apogée sur l’excellent tube « Loner », et qui surtout, pose, au pays des néo-réactionnaires, le doigt là où il est important de le poser.
17. Slaves, « Take Control » / Virgin EMI Records
Esclaves ? Et de qui s’il-vous-plaît ? Certainement pas en tout cas, pour ces fous furieux-là, de cette société qui châtie et qui brutalise à tour de bras, et à qui il convient de faire ressentir la même fièvre refoulée. Take Control, après le tout aussi saignant Are You Satisfied ?, est d’une violence punk parfaite. Et fait du bien là où ça fait ordinairement bien du mal. En concert : attention, ça pogote.
16. Mateo Kingman, « Respira » / AYA Records
À la frontière de l’Amazonie, certains composent des albums de pop s’inspirant des ruissellements organiques de la plus grande forêt du monde, et y infiltre cumbia, musique électronique, et immense ouverture d’esprit. Mateo Kingman, qui a grandi dans les certitudes du vert dense, produit et chante désormais des albums qui copinent parfois avec le bitume un peu rance. Cela n’empêche rien : Respira est un chef-d’oeuvre, qui dit les évolutions d’un monde qui risque d’en avoir de plus en plus besoin, de témoins relatant son histoire vertueuse.
15. Danny Brown, « Atrocity Exhibition » / Warp Records
Complètement névrotique (et plus encore), le dernier album de Danny Brown réussit le joli exploit de s’avérer bien plus malade encore que les précédents épisodes discographiques (Old, The Hybrid) d’un garçon qui n’était pourtant pas forcément connu pour être l’incarnation de la stabilité cérébrale absolue (le tour en prison y est sans doute pour quelque chose). Des featurings bien sentis (avec la belle voix soul Petite Noir, avec la douce Kelela, avec l’incontesté Kendrick Lamar), et une virulence hip-hop, qui tend parfois vers des productions électro-toquées (« Ain’t It Funny », « White Lines ») qui donne vraiment envie de savoir ce qu’il va advenir de ce type-là, lorsqu’il n’aura plus la musique pour lui permettre d’évacuer ses démons qui semblent être si nombreux. Pourvu que ça dure.
14. Calypso Rose, « Far From Home » / Because Music
La reine du Calypso made in Trinité-et-Tobago a croisé la route du malin Manu Chao. Et voilà un second souffle pour la sexagénaire miraculée Calypso Rose (un cancer du sein et une tumeur auxquelles il a fallu résister), remuante comme si elle était occupée par une jouvence nouvelle, et bénéficiaire du travail de production marquée du Franco-espagnol, qui signe quelques chefs-d’oeuvres imparables (« Abatina », « Calypso Queen », « No Madam ») véhiculeurs d’une joie de vivre communicative à un point rarement atteint. La reine est vivante, alors vive la reine.
13. Batuk, « Musica da Terra » / Teka Music
Alors qu’au Sud du glorieux continent africain, Die Antwoord s’égarait cette année (même si le délire a son charme) dans une euro-dance raveuse pour punk à crêtes de toutes les couleurs, qui sonnait quand même vraiment très très rétro (le très peu audible « Banana Brain » est un bon exemple), les compatriotes de Batuk, vêtus pour leur part d’une électro tribale et méchamment extatique, mettaient sur pied un album autant préoccupé de révolte (« Força Força », « Puta ») que d’extase des dancefloors (« Gira », l’immense « Call Me Naughty », à passer en boucle). C’est donc vers Batuk que l’on s’est tourné cette année, en live comme en studio. Et en after, où ces gens-là sont capables de mixer durant plus de 6 heures d’affilée, en sortant de scène. Musique de la terre, force de la nature.
12. Yak, « Alas Salvation » / Octopus Records
La furie punk (on peut ajouter le terme « post » devant) de cette année, c’est eux. Un nom de grosse bébête sympa à poils longs, mais une attitude de félins (plus lynx que chatons) désinvoltes, arrogants et bondissants qui ont fait rugir de plaisir (ou d’autre chose) un max de cordes vocales cette année. « Alas Salvation » ? Comme la rage toujours salvatrice du punk lorsqu’il est interprété avec tant de justesse et d’énergie salement communicative.
11. Romare, « Love Songs : Part Two » / Ninja Tunes
Producteur miraculeux, passionné de musique black (afro-américaine, ou afro-africaine) et d’art graphiques (il produit lui-même l’intégralité de ses visuels), Romare compose ici un album qui parle d’amour à la première personne, et parfois avec de vrais mots. C’est le cas sur « Je t’aime », notamment, l’un des plus gros tubes clubs de l’année, qui sert de point d’ancrage à un disque, après le passionnant Meditations on Afrocentrism d’une exigence et d’une efficacité absolument folles, à consommer en tenue de club comme en tenue de couette. Love serve all.
10. Paradis, « Recto Verso » / Barclay
Ah ben oui, on peut chanter en Français sur de la house. On l’avait un peu compris avec Tellier, et on se le voit confirmer de nouveau avec grandeur avec Recto Verso le premier album de Paradis, qui arrive après pleins d’EP tous plus smooth les uns que les autres, et qui s’en sort tellement bien ici que l’objet édénique fonctionne aussi bien dans le confort du studio que dans la chaleur d’un club de gentils bobos (« Miroir deux » est remarquable dans ces circonstances). Ou comment bouger les hanches sur des histoires de cœur qui ne parlent qu’à notre nous intérieur (oui oui, « Garde-le pour toi », c’est mon histoire), ou qui parlent parfois un peu aux autres aussi (« Toi et moi », « Quand tu souris », « De semaine en semaine »). Allez, on est aux anges.
9. Goat, « Requiem » / Rocket Recordings
Requiem ? Naissance plutôt ! Car le krautrock tribal, acid, très expérimental et fabuleusement féérique de ces Suédois qui n’ont vraiment froid nul part suggère bien plus l’idée de création que celle de destruction. La création, avec ce nouvel album aussi grandiose que ce qui était paru hier (prosternation, de nouveau, devant l’épique World Music), et surtout, le mélange. Des genres, des cultures, des sons, de tout. Bon ok pour le requiem, mais for a joli dream alors.
8. Acid Arab, « Musique de France » / Crammed Discs
Qu’Acid Arab nomme son album Musique de France est sans doute l’une des idées les plus brillantes et politiques qu’il fut proposer de constater ces dernières années au pays de Michel Sardou. Autre idée brillante : dépasser les productions pures et dures des précédents essais du duo Guido Minisky / Hervé Carvalho afin d’inviter sur ce premier album qui comble, en France, un manque (l’association de la musique acid house et des musiques orientales) une planelle de figures aussi bien évocatrices de l’Orient d’aujourd’hui que de celui d’hier (de Rachid Taha à A-Wa, en passant par Sofiane Saïdi, le prisme est large). Cocorico.
7. Preoccupations, « Preoccupations » / Jagjaguwar
Parce que l’Amérique du Nord a produit énormément de film rappelant les vilaines choses engendrées par la guerre du Vietnam, les Viet Cong ont dû se résoudre, après un premier album d’une nécessité absolue, à laisser tomber leur nom de guerre et de scène pour un autre, moins accrocheur (Preoccupations) mais qui n’a rien enlevé à la férocité de leurs compositions rappelant les plus glorieuses heures du post-punk noisy, de Joy Division à Sonic Youth (pour ne citer que ceux dont on vend des tee-shirt chez Primark). « Anxiety » , « Monotony », et « Memory », à écouter en boucle très souvent (bien que le morceau dure 11 minutes). Info utile : prévoir des Boules Quies en concerts, le batteur tape très fort sur ses cymbales.
6. Mark Pritchard, « Under the Sun » / Warp Records
Savoir produire, savoir s’entourer. Le génie de Mark Pritchard, arrangeur méconnu malgré une discographie IDM et electronica irréprochable (que des EP jusqu’alors mais que des chefs-d’oeuvres, dont l’incontournable Lock Off »), atteint ici son apogée sur un album au moins aussi beau que le joli titre qui l’accompagne, et qui mélange longues plages électroniques où seules demeurent la grâce des machines (« Sad Alron », « Falling », « Cycles of 9 ») et habiles cohabitations vocales, avec Bibio et Linda Perhacs, mais bien sûr surtout avec Sir Thom Yorke, sur ce « Beautiful People » qui dit, effectivement, la beauté émerveillé des choses.
5. Usé, « Chien d’la casse » / Born Bad Records
L’album le plus crasseux, le plus froissé, et le plus désespéré paru cette année chez les amateurs de rock / punk / bruit français est, sans surprise, celui d’Usé. Car cet album-là est fidèle au nom de son géniteur, autant qu’à celui de son label (Born Bad, qui ne sort pas, on le rappelle que les albums de La Femme), et transpire le mal-être de quelqu’un qui a besoin de faire beaucoup de bruit et de repasser les idées dans le crâne pour se libérer des maux que l’existence a cru bon de devoir lui coller sur la peau. « Respire », « Plusieurs collisions par minutes », « Amphétamines » : à écouter extrêmement fort au casque, le torse-nu, les lumières éteintes, et les espoirs partis dans un endroit où l’air circulerait de manière un peu plus autonome.
4. Anchorsong, « Ceremonial » / Tru Thoughts
Ce qui est toute de même étonnant avec le XXIe siècle, c’est que l’album d’un Japonais n’ayant jamais mis les pieds en dehors de son continent natal puisse sonner à ce point comme l’album d’un individu ayant exploré l’Afrique avec une minutie de tous les instants. De la magie du monde digital, et de la mondialisation, est né « Ceremonial », l’idéal album du nippon Anchorsong qui fusionne rythmiques tribales et électro tantôt langoureuse (« Eve »), tantôt vénéneuse (« Mother »), tantôt accrocheuse (« Kaju ») avec un savoir-faire quasiment anthropologue. Voyons, ainsi, cette fois 2016 à travers l’idée de métissage. Et bougeons les neurones.
3. Nicolas Jaar, « Sirens » / Other People
L’extase, paraît-il, ne peut se faire sans l’attente patiente qui la précède. Alors, chez Nicolas Jaar, pas tellement adepte du fait-à-moitié, il faut une face complète de vinyle pour que l’affaire veuille bien commencer à décoller. Ce qui fait long, c’est juste. Mais alors, lorsque ça décolle, on ne redescend plus. Et on perçoit dans les boucles murmurantes, cosmiques, tribales et psychédéliques de « No », de « Three Sides of Nazareth » et de « History Lesson » les aspirations politiques (ou peut-être plutôt idéologiques) d’un New-Yorkais qui se rappelle ses origines chiliennes, et la lutte qu’ont dû engager certains contre la dictature d’Augusto Pinochet, afin de s’en libérer. La narration des luttes d’hier afin de suggérer celles qui devront émerger demain. Ou l’occasion, pour une fois, de ne pas craindre le chant des sirènes.
2. DIIV, « Is the is Are » / Captured Tracks
Une arrestation d’un leader (Zachary Cole Smith) aux bras de sa petite amie Sky Ferreira pour possession de came, un bassiste qu’on fout dehors parce qu’il se montre homophobe et raciste, batteur qui, lui aussi, baigne un peu trop dans la drogue…et après, ça, on splitte ? On rebondit plutôt, et on fait encore plus fort que la fois d’avant (l’excellent Oshin) en sortant l’album de shoegaze-psyché-indie rock de l’année, très très loin devant la concurrence qui porte pareillement les cheveux un peu longs (Toy, Wild Nothing, Yuck…) Le fait de quelques tubes (« Out of Mind », « Under the Sun », « Dopamine ») qui accrochent autant, justement, qu’une vilaine dope, et qui demeurent dans le crâne tellement longtemps qu’on le met tout en haut du sommet, cet album, du coup, que l’on jugera DIIVin.
1. David Bowie, « Blackstar » / Columbia Records
S’éteindre quelques heures après avoir livré au monde un ultime chef-d’oeuvre, nouvelle perle luxuriante enfilée autour d’un collier qui aura fait le tour du rock durant plus de quarante longues années : c’est l’épilogue toujours pas croyable de la formidable odyssée Bowie, qui aura mis en scène jusque sa propre sortie, via une multitude d’indices toujours pas parfaitement déchiffrés (la pochette de Blackstar, les clips de « Lazarus » et de « Blackstar ») et via un album au contenu inattendu (le free-jazz allongé). Comment mettre quiconque d’autres, ici, tout en haut, au-dessus des autres et de tous les prochains des hommes, que cette étoile, qui a elle-même décidée de se colorer tout en noir ?