Edito: Culture et transcendance, un ménage très productif
Dans la présentation de son film “Le chat du rabbin“, qu’il a sous-titré avec humour “Des chats et des dieux”, Joann Sfar note : “Il me semble qu’il y a, en ce moment dans notre pays, une vraie préoccupation des gens pour la spiritualité- comme le prouve le succès du film Des hommes et des Dieux“.
Pourvu que les dieux soient multiples, et les esprits ouverts, en France aussi, culture et spiritualité forment décidément une belle équipe, par delà tous les débats d’ordre politique. En témoigne le succès foudroyant d’un groupe de musique comme Les prêtres dont le premier album “Spiritus Dei” est passé loin devant Lady Gaga dans les charts français au printemps dernier (800 000 albums vendus).
Si cet engouement pour la transcendance peu sembler fleurer bon la nostalgie de la messe en latin, la religion se modernise et touchait au high-tech quand le monde entier a pu suivre en direct la béatification de Jean-Paul II sur youtube. Bien sûr, ce postmodernisme appliqué à la foi trouve aussi des limites, par exemple lorsqu’on tente de se confesser via une application i-phone.
Aussi “moderne” soit la religion, les croyances sont ancrées dans une tradition. Et, en 2011, un artiste ne peut pas avoir tout à fait champ libre dans la représentation de figures sacrées. La grande polémique autour du Piss Christ d’Andres Serrano à la fondation Lambert d’Avignon montre que ce qui peut être interprété comme du blasphème choque toujours autant.
Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas rire. Oui, on peut se moquer, non pas de Dieu, mais des relations compliquées que la diversité des fois engendre, comme le montre le cinéma français avec des films comme “Qui a envie d’être aimé?” ou la vogue des comédies sentimentales religieuses et identitaires telles “Il reste du Jambon“.
L’Autre est au cœur des questions que se posent les croyants aujourd’hui. Et cet attrait pour l’Autre circule de la religion à la culture. Ainsi, bien souvent dans le paysage culturel parisien, l’inspiration sacrée est une ouverture vers d’autres spiritualités : le Tao, dans la grande et belle exposition qui a eu lieu au printemps dernier au Grand Palais, Sainte Russie au Louvre en 2010, ou encore le succès de l’actuelle exposition du Musée Guimet sur le Bouddhisme. Et par le biais de la culture, le dialogue inter-religieux est souvent à l’honneur sans toujours devoir justifier la démarche d’une déclaration de principes quand l’Institut des Cultures d’Islam invite tous et toutes à venir fêter les veillées du Ramadan. Un lieu aux multiples activités artistiques et spirituelles comme le collège des Bernardins en est un autre excellent exemple.
La spiritualité imprègne l’art. Rien de nouveau sous le soleil : le spirituel dans l’art se poursuit et s’auto-cite, comme le montrent les “Illuminations” de Christian Boltanski représentant la France à la biennale de Venise , le succès fou de “Chagall et la Bible” au MAHJ, la re-visite des saints par David Lachapelle au Musée de la Monnaie ou encore l’exposition du collectif russe AES +F moquant le tourisme contemporain en pastichant les toiles d’inspiration sacrée de Tieppolo et en puisant dans l’imaginaire de Pétrone. Mais cet art inscrit dans une histoire sacrée, s’empare de la croyance en l’actualisant et en la personnalisant : l’exposition d’avant-garde sur la “Radical Jewish Culture” au MAHJ nous en a convaincus en nous montrant comment ce mouvement protestataire new-yorkais est né dans la spiritualité et l’histoire juives.
Dans son “Dix-neuvième siècle à travers les âges” (Tel Gallimard, 1984), Philippe Murray montrait que déjà, ‘au temps de ce que l’on considère actuellement en France comme l’âge d’or du positivisme et du socialisme, la croyance jouait un rôle capital dans cette coulisse étrange et fascinante que constituaient l’occultisme et la magie. Aujourd’hui encore – et peut-être plus que jamais – les croyances, autant que la raison, inspirent ceux et celles qui produisent les œuvres que nous chroniquons avec bonheur chaque jour pour vous. C’est pourquoi nous avons décidé de rendre hommages à ces croyances, dans leur diversité (judaïsme, christianisme et islam bien sûr, mais également bouddhisme, franc-maçonnerie et rastafarisme), et de montrer quel rôle important elles jouent sur le devant de la scène, entre les notes, dans la lumière de certaines toiles, dans les compilations d’archives nécessaires pour se renouveler ou même dans le packaging coup de pub des grandes divas qui remplissent les stades.
Avec facétie et tendresse, nous avons décidé de publier ce dossier le 22 mai, jour de la Sainte Rita, patronne des causes perdues et donc pourvoyeuse d’immenses espoirs et dont le sanctuaire irradie Paris depuis le cœur de Pigalle. Visant l’éclectisme plus qu’une exhaustivité impossible, ce dossier a pour but de vous faire voyager avec pour guide ce ménage houleux et néanmoins follement vivant que forment la culture et la croyance.
Très bonne lecture!
Visuel : La Lutte de Jacob avec l’Ange, Delacroix, Eglise Saint Sulpice, Paris 6e (1861)
La rédaction