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La Contre-histoire de la philosophie de Michel Onfray, suite

La Contre-histoire de la philosophie de Michel Onfray, suite

24 August 2020 | PAR Franck Jacquet

Dans le douzième volume de son entreprise d’une Contre-histoire de la philosophie, intitulé La résistance au nihilisme, le philosophe poursuit sur une lancée très riche, mais aussi très sélective et quelque peu excluante très proche de l’aventure Front populaire, revue « populo-souverainiste » dont le premier numéro est récemment paru…

 

Note de la rédaction : 3/5 

 

Distribuer les points
L’auteur publie donc cet été la suite de sa lecture de l’histoire de la philosophie et si évidemment par ses choix (il met en avant quelques auteurs majeurs pour s’y consacrer, n’abordant les autres œuvres que par ce qu’elles viennent heurter, se relier, composer avec ceux mis en lumière) il montre ses appréciations mêmes, on doit comme à chaque fois prêter attention à l’introduction de l’ouvrage. Celle-ci permet de contextualiser Jankélévitch, Dufrenne et Misrahi en l’occurrence, mais surtout elle est l’occasion pour Michel Onfray d’être plus direct dans ses propos.
Ici tout, est dit finalement et derrière le nihilisme il est en fait bien souvent question du désenchantement de la gauche vis-à-vis de grands récits englobants au profit de ce qu’il ne cesse dé dénoncer depuis son entreprise de l’Université populaire : à sa manière, il considère que le tournant identitaire, la mise en avant des questions des minorités, groupales, « post-modernes » si on reprend la classification ancienne d’Alain Touraine, est en réalité un aveu d’échec du travail philosophique et, surtout peut-être, de la philosophie dans ce qu’elle prépare le lien politique. Ainsi, au travers des événements et de la galerie d’acteurs situés de la guerre d’Algérie aux polémiques des rendez-vous de l’histoire de Blois de 2018, il semble déplorer le vide que le courant qu’il qualifie de « gauchisme culturel » crée dans le débat philosophique. En effet, et cela est largement perceptible dans les anciens volumes de cette Contre-histoire comme dans d’autres prises de positions publiques,  pour Michel Onfray il n’est pas de philosophie sans actes et tout œuvre purement considéré comme texte désincarné et éloigné des événements est à laisser de côté. Pour faire court, la philosophie « impacte » selon l’anglicisme désormais passé dans le langage courant, et si elle ne le fait pas, elle est comme occultée par l’auteur. Le propos liminaire s’apparente même plus que les volumes précédents à une histoire des idées et des courants de la gauche où sont distribués les bons et les mauvais points. Bien peu trouvent grâce. Cette proximité avec le terrain notamment soixante-huitard, de Vincennes… et avec des anecdotes et sans doute liée au fait que Michel Onfray a côtoyé une partie de ces milieux et s’est finalement constitué en réalité contre eux. Dans cette perspective, à titre d’exemples, on notera à quel point Foucault et les structuralistes sont proprement « dézingués » tandis que Lyotard tire nettement son épingle du jeu. Au fond, Michel Onfray rejette tout ce qui représente la « société liquide » que Zygmunt Bauman, y compris donc dans le champ philosophique. Mais il ne faut pas approcher ici cette « résistance au nihilisme » comme les essais « grand public » ou Front populaire et ici on se gardera bien d’attribuer un passéisme monolithique au philosophe.

Lignes de partage dans le paysage philosophique actuel
Incontestablement, il trace par ses choix des lignes de partage qu’il considère essentielles pour comprendre la production philosophique actuelle. Vladimir Jankélévitch, dont les travaux sont réévalués nettement depuis une génération, a la part belle. Il faut dire qu’il a dégagé une part de sa vie durant une voie comme alternative bien que secondaire dans le champ médiatique par rapport à celle de Sartre, qui constitue un anti-héros dans la pensée et dans la pratique philosophique depuis la seconde moitié du XXe siècle. Le grand intellectuel de gauche apparaît ainsi en filigrane : cela reste logique tant se positionner par rapport à cette figure est une injonction pour les dernières décennies de ce même siècle. Si Michel Onfray nous offre particulièrement pour Jankélévitch une approche claire et didactique de sa pensée finalement très prolixe, il semble toujours devoir revenir à ce point de repère : « que veut une pensée, un cheminement, un positionnement par rapport aux événements sur l’échelle de Sartre ? » (Sartre n’étant pas, on l’aura compris, un degré d’accomplissement majeur de ce que souhaite l’auteur pour la philosophie ; il était trop proche des institutions et des sources de pouvoir, qui sont invariablement chez Onfray une dégradation nécessaire de toute pensée). Par-là, insistons encore sur le fait que cette histoire passe par la moulinette de l’action tout positionnement intellectuel (jusqu’à rappeler les actes de résistance de Robert Misrahi).
A côté de ces démarcations, on découvre (j’avouerai ici mon inculture à son sujet) l’œuvre de Mikel Dufrenne et celle de Robert Misrahi. Ce dernier, par son Traité du bonheur notamment, est proposé comme dépassement des impasses des gauches marxistes empêtrées comme des gauchismes culturels tant critiqués par Michel Onfray. Une forme de socialisme libertaire de la joie est affirmée comme une voie certes singulière mais proposée comme un édifice théorique majeur pour notre temps. Avec Jankélévitch et son approche de l’ironie, on ne saura trop conseiller la fréquentation d’un auteur qui s’impose tant dans les cursus universitaires que par la possibilité qu’il trace de dégager du bonheur par l’ordinaire.

 

Une Contre-histoire encore possible ? 

Reste une question et non des moindres : étant donné le positionnement politique et public de plus en plus problématique de l’auteur sur les questions de souveraineté, sur la démocratie représentative, sur la construction européenne ou encore sur (un vocable qu’il a repris récemment) des élites dites mondialisées, peut-on encore lire M. Onfray comme auparavant ? D’autres questions viennent dès lors : pourquoi Misrahi plutôt que Steiner ou bien d’autres ? Dans quelle mesure l’expérience Front populaire peut-elle être à délier de ce qui était au départ une entreprise philosophique ambitieuse comme clivante mais toujours solide ? Ici, cherchons le difficile chemin de crête : évitons les anathèmes et cherchons à voir l’intérêt de la relecture de cette Résistance au nihilisme. N’oublions pas d’où viennent les paroles posées contre les gauchismes identitaires dont meurent évidemment les social-démocraties mais qui sont dépeintes par un acteur des tensions contemporaines du débat public de plus en plus polarisé sur une fracture instrumentalisée peuple / élites… Regardons aussi la permanence de cette trajectoire d’un philosophe qui a toujours mis en avant (presque avec trop de frénésie ?) ce même peuple et une forme d’hédonisme contemporain. Balançons-le avec d’autres lectures (une autre forme d’hédonisme, intellectuel et studieux mais aussi désintéressé vis-à-vis de l’utilitarisme, comme rappelé par Jean-Miguel Pire dans Otium récemment paru lui-aussi)… Ainsi, un réel point de vue sur la Contre-histoire sera encore possible.  

Informations : Michel, Onfray, La résistance au nihilisme, Contre-histoire de la philosophie – T. 12, Paris, Grasset & Fasquelle, juin 2020 : 519 p. – 29 euros – ISBN : 978-2-246-80549-6

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Franck Jacquet
Diplômé de Sciences Po et de l'ESCP - Enseigne en classes préparatoires publiques et privées et en école de commerce - Chercheur en théorie politique et en histoire, esthétique, notamment sur les nationalismes - Publie dans des revues scientifiques ou grand public (On the Field...), rédactions en ligne (Le nouveau cénacle...) - Se demande ce qu'il y après la Recherche (du temps perdu...)

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