« Les Dangers de fumer au lit » de Mariana Enriquez : L’horreur quotidienne
Ce recueil de douze nouvelles de l’auteure de Notre part de nuit confirme la vitalité, l’humour et l’originalité de cette plume argentine.
Paru en 2009 en Argentine, Les Dangers de fumer au lit ne paraît que maintenant en France, après notamment Ce que nous avons perdu dans le feu (2016) et Notre part de nuit (2020). En interview, Mariana Enriquez revient sur son style : « les nouvelles sont plus punks, plus gores, l’écriture est plus urgente ». Et quel bonheur de lire cela ! Ces douze nouvelles horrifiques, d’une qualité égale, redonnent leurs lettres à l’horreur en littérature, qui en avait bien besoin.
Inspirés lointainement de faits divers ou de mythes et légendes, les nouvelles nous présentent des jeunes filles autour d’une planche de ouija, des enfants et adolescents morts qui réapparaissent, un fantôme coincé dans un hôtel, un SFD qui jette un sort, des enfants morts qui empêchent de quitter Barcelone, etc. Comme toute bonne histoire horrifique, Mariana Enriquez s’appuie sur un quotidien très ancré, notamment par ses références géographiques nombreuses, particulièrement à Buenos Aires.
Le surgissement de l’horreur provient souvent du dérèglement d’une machine qui ne tourne déjà pas bien rond. Ce sont ces jeunes filles jalouses et obsédées par le sexe dans « La Vierge des tufières », ce clochard qui vient déféquer sur un trottoir dans « Le caddie », cette femme sexuellement excitée par les battements de cœur dans « Où es-tu mon cœur », ou encore, dans « Viande », ces groupes d’adolescentes qui deviennent folles à la mort de leur idole. Avec une dose d’étrangeté déjà bien dosée, Mariana Enriquez pousse les curseurs un peu plus loin.
Les Dangers de fumer au lit raconte également le mal-être (« Le sang était désormais la seule humidité que pouvait produire son corps, elle le savait. »), la tristesse infinie (plusieurs femmes pleurent de fatigue), le deuil, la dépression, qui touche particulièrement les adolescentes… « C’est un âge très spécial, en particulier l’adolescence, quand le corps apparaît comme un monstre en proie à des métamorphoses, et qu’on est comme face au précipice de la vie adulte ». Sans verser dans le gore, ces nouvelles sont également portées par une poésie bienvenue et un sens de l’humour en sourdine.
« Un jour, j’ai acheté un CD dans une librairie spécialisée dans l’édition médicale (par prudence, je m’étais débrouillée pour faire croire à tous les employés que j’étais étudiante), intitulé Bruits cardiaques. Rien auparavant ne m’avait rendue aussi heureuse. Je suppose que les femmes et les hommes normaux éprouvent du plaisir en écoutant jouir des personnes du sexe qui leur plaît ; moi, c’était en entendant le pouls de ces cœurs détruits. Il y avait tellement de variétés ! Tellement de battements différents, tous avec des significations distinctes, tous beaux ! Les autres maladies ne s’écoutaient pas. »
Les Dangers de fumer au lit, Mariana ENRIQUEZ, traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet, Editions du sous-sol, 240 pages, 21 €
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