
L’homme est une femme au cinéma : histoires de travestissement
Guillaume et Jacky : pas facile d’être une femme… surtout lorsqu’on est un homme ! Par contre, facile d’en parler au cinéma, dans une forme qui évite la complaisance. Facile en 2014 du moins. Dans la première décennie du XXIème siècle, le cinéma a beaucoup abordé ce sujet. Quel chemin pour en arriver jusqu’à l’état décontracté d’aujourd’hui ? Une histoire en cinq ans.
Celui-là s’appelle Kitten, Patrick de son vrai prénom. Il évolue dans un film de 2006 réalisé par Neil Jordan, qui s’appelle Breakfast on Pluto. Il cherche sa mère à Londres et ce faisant, il se heurte aux activistes de l’IRA –nous sommes dans les années 70- au milieu de la prostitution, au trafic d’armes… Avec pour seul rempart, sa nature de travesti, et une naïveté qui l’amène à écouter les commentaires des oiseaux et à rêver sur de la musique seventies… Il a de la chance : sa recherche d’identité n’est pas évidente, mais elle emprunte une forme décalée et légère. D’autant plus qu’il arbore les traits angéliques de Cillian Murphy.
[Breakfast on Pluto, un film de Neil Jordan avec Cillian Murphy, Liam Neeson, Stephen Rea, Brendan Gleeson, Bryan Ferry, Eva Birthistle. Sorti en 2006.]
Celui-là s’appelle Pierre. Ah, avec lui, le ton se durcit. Ancien gigolo désormais sexagénaire, il vient de perdre son amant de trente ans, et la vie n’a plus beaucoup de sens. Son parcours porte un titre évocateur : Avant que j’oublie. Dans ce film de 2007, perte et conservation sont des problématiques essentielles. Car le travestissement, auquel il se livre encore épisodiquement, est devenu pour Pierre signe de vieillesse. Faut-il abandonner des fantasmes qui n’ont plus la même saveur, ou s’accrocher à eux, histoire de tirer encore un peu de plaisir de la vie ? Jacques Nolot, auteur-réalisateur-interprète de ce film-autoportrait, se jette dans ces questionnements à corps perdu.
[Avant que j’oublie, un film réalisé et interprété par Jacques Nolot, avec aussi Bastien d’Asnières, Marc Rioufol, Albert Mainella. Sorti en 2007.]
Ceux-là s’appellent Manu et Philippe. Et comme ils sont interprétés par Lambert Wilson et Pascal Elbé, tout va mieux ! Dans Comme les autres, film de 2008, ils désirent avoir un enfant. Une jeune femme va les y aider. Tout se passera sans trop de mal, bien sûr, comme dans les films français grand public, mais on remarque cependant qu’en cette année 2008, Comme les autres fait disparaître ce que les gens regardent comme des bizarreries pour montrer un couple avec un mode de vie « normal ». Tout serait-il en train de s’apaiser ?
[Comme les autres, un film de Vincent Garenq avec Lambert Wilson, Pascal Elbé, Pilar Lopez de Ayala. Sorti en 2008.]
Et non ! car celui-là s’appelle Simon. En 1998, il était la preuve que L’Homme est une femme comme les autres. En 2009, il est revenu, dans La Folle Histoire d’amour de Simon Eskenazy. Et là, à vie « normale », chamboulement total : un amant stressé et lunaire –Micha Lescot, forcément- une mère envahissante –Judith Magre, forcément- et l’irruption de Naïm, un travesti aux multiples identités (Mehdi Dehbi). Foin des dissimulations, les fantasmes reprenaient le dessus en cette année 2009. Difficile à gérer pour Simon, interprété, forcément, par Antoine de Caunes.
[La Folle Histoire d’amour de Simon Eskenazy, un film de Jean-Jacques Zilbermann avec Antoine de Caunes, Judith Magre, Mehdi Dehbi, Micha Lescot, Elsa Zylberstein. Sorti en 2009.]
Il fallait bien trouver une conclusion à l’histoire. En 2010, le portugais Joao Pedro Rodrigues est venu l’écrire. Celui-là s’appelait Tonia. Il était l’ancienne reine –fictive- des cabarets de Lisbonne. Un vieil homme désormais, désireux de devenir définitivement une femme avant sa mort. Entreprise compliquée par des convictions religieuses profondes, et par son propre corps, n’acceptant pas forcément les transformations… Conclusion triste, donc. Sorte de tombeau pour cette différence, difficile même à s’imposer à soi-même. Seule alternative : Mourir comme un homme.
[Mourir comme un homme, un film de Joao Pedro Rodrigues avec Fernando Santos . Sorti en 2010.]
Ensuite, quelques autres figures sont venues sur les écrans, jusqu’en 2014. La Laurence de Laurence Anyways, de Xavier Dolan, par exemple, interprétée par Melvil Poupaud. Un film élégiaque. Le sujet est dès lors allé, au cinéma, vers plus de décontraction. Aujourd’hui, heureusement, son traitement n’a pas perdu en humanité. On ne peut que s’en réjouir… et voir ces beaux films, qui savent faire rire également.
Visuels: © affiches des films Breakfast on Pluto et Mourir comme un homme