Cannes, jour 1 : Soleil, coup de « Grace » et politique au Mali
C’est sous un grand soleil souriant que les hommes musclés du Festival ont accroché le fameux tapis rouge du palais aux 24 marches, ce matin vers 9h.
Présenté en grand pompe à la presse à 10h puis à la crème du festival en ouverture Grace de Monaco de Olivier Dahan a offert au public international un parterre de vedettes et un peu de rêve. Mais côté cinéma, nous n’avons peut-être pas beaucoup avancé avec ce beau clip publicitaire pour les paysages de la French Riviera et les bijoux Cartier. Après la projection du matin, la presse a marqué un silence révélateur, sinon désapprobateur, et n’a pas pu s’empêcher en cours de route de rire des mimiques encore outrées de De Gaulle et des répliques les plus lourdes du film. Ce qui n’a pas empêché les critiques de faire la queue une heure et demie avant la conférence de presse, où tous n’ont pas pu entrer.
Dans une petite robe blanche impeccable, Nicole Kidman a fait sensation, même si la « vraie » girl sexy était Paz Vega, incarnation d’une Maria Callas ultra-libérée dans le film et qui nous a donné un cours de mode avec le trio : robe bleu électrique, stilettos rouges, pas un mot de trop au micro. Les journalistes ont demandé plusieurs fois à Nicole Kidman si elle aurait – comme Grace sacrifié sa carrière- pour tenir son foyer. N’ayant pas eu à faire ce choix et n’ayant jamais épousé un prince, la blonde aux lèvres carmin a souri et botté en touche, vantant la primeur de l’amour et du mariage, pour les femmes comme pour les hommes. Impeccable et d’une élégance folle dans son costume gris, Tim Roth n’a pas vraiment eu de question à la hauteur de son charisme.
D’une manière générale, toutes les questions ont été traitées dans le politiquement correct avec pour mot d’ordre et ligne de défense soufflés par un Olivier Dahan tout de noir vêtu (casquette comprise) : « Ceci n’est pas un biopic ». Et le mantra marche pour ne pas évoquer les difficultés avec la production ou le refus des Grimaldi d’assister à la première. Quand le directeur de la photographie, Eric Guatier, a parlé on a quand même réussi à deviner ce que Grace aurait pu être sans ses grandes déclarations, ses plans insistants et sa musique lourde: un film qui retrace l’ambiance cinématographique des années 1960 pour décrire ce qu’est l’essence d’une comédienne. Et l’on s’est surpris une seconde à regretter de ne pas avoir vu ce film-là avant de revenir aux charmes des beaux acteurs…
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Après l’équipe du film d’ouverture, ce sont les jurés eux-mêmes, qui, comme chaque année, ont répondu aux questions des journalistes. Etant donné que Jane Campion a demandé à ses troupes (Carole Bouquet, Sofia Coppola, Leila Hatami, Jeon Do-Yeon, Willem Dafoe, Jia Zhanke, Nicolas Winding Refn, et Gabriel Garcia Barnal) de ne pas donner d’interview jusqu’au palmarès, l’enjeu de cette conférence était important. Et pourtant, sobriété et consensus étaient de mise, dans les atours, comme dans le message.
A contrario du juré hyper-enthousiaste et très engagé pour un cinéma qui parle du monde, mené par Spielberg l’an dernier, les jurés de la 67ème édition semblaient déjà fatigués et assez heureux de pouvoir mater des films sans que la presse ne vienne les embêter. Sexisme à Cannes, filtre politique sur la production cinématographique iranienne, ou la question de savoir si la compétition présentait assez de jeunes talents (ce à quoi d’aucuns auraient pu répondre que « Un certain regard » n’était pas fait pour les chiens), toute question un peu lourde de sens a été écartée avec un sourire ultra-brite. Willem Dafoe a bien résumé la situation en disant que les jurés vont être créatifs en partant sans agenda particulier et en inventant leur propre rôle. Y réfléchir en amont pourrait-il gêner la « création” ? Nous n’en saurons rien jusqu’au choix définitif de cette belle équipe qui a décidé de faire profil bas où chacun choisira- ils l’ont promis- selon son cœur.
Le temps de mettre les photos dans l’ordinateur, et, dans les coulisses de la cérémonie d’ouverture, nous étions repartis pour faire la file afin de visionner le premier film de la compétition, aussi annoncé comme le plus politique.Et probablement le plus poétique. Après le succès de Bamako (2006), dans Timbuktu, le réalisateur Mauritanien et grandi au Mali, Abderahmane Sissako, évoque le problème de la terreur religieuse que font régner les islamistes en 2012, parfois récemment convertis, auprès d’une population pieuse mais pas fanatique. Dans des paysages à se pâmer de beauté, la terreur monte, sans que l’humour et le second degré ne soient jamais mis de côté. Un exemple de film engagé qui n’oublie jamais son statut réflexif de film que la presse a salué de grands éclats de rires, de souffles retenus et d’applaudissement. Un magnifique premier film en compétition, parfaitement en lice pour une récompense.
Alors que la soirée organisée par Gaumont pour célébrer l’équipe de Grace de Monaco se passait un peu loin du palais, et que les invités élégants y ont bu du jus de fruit frais et beaucoup dansé, le reste de la ville était encore calme, attendant les pleins feux de demain (début d’un Certain Regard, de la Quinzaine des réalisateurs, de la semaine de la critique et de l’acid.
Rendez-vous demain soir pour plus de news cannoises avec entres autres Mike Leigh dans une bio de Turner et Keren Yedaya dans une histoire incestueuse qui pourrait bien dévoiler un personnage féminin hors des sentiers battus.
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