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Cannes 2023 : dans la Compétition, les noms de Ben Hania et Bing réjouissent

Cannes 2023 : dans la Compétition, les noms de Ben Hania et Bing réjouissent

13 April 2023 | PAR Geoffrey Nabavian

Pour le Festival de Cannes 2023, Compétition pour la Palme et Hors Compétition dévoilent un programme bien pensé, aux pointes d’inédit peut-être un peu trop rares. Mais on peut avoir tort. Verdict entre le 16 et le 27 mai 2023.

Le Festival de Cannes révèle les sélectionnés qui vont faire le sel de sa 76e édition. En bon cinéphile toujours motivé pour de nouvelles découvertes, on s’est documenté à l’avance sur les œuvres considérées comme les favorites pour figurer sur la Croisette en mai 2023. Est-ce pour cette raison que l’on ressent un tout petit parfum de déjà-vu lorsque leur annonce est faite ? Ou juge-t-on trop vite ?

Quoi qu’il en soit, on applaudit grandement la présence en Compétition pour la Palme d’or en 2023, avec Les Filles d’Olfa, de la géniale réalisatrice Kaouther Ben Hania : après La Belle et la Meute et L’Homme qui a vendu sa peau, elle signe cette fois un film attaché à une mère dont plusieurs filles sont parties, aveuglées par leurs compagnons, pour l’Etat islamique. Un long-métrage entre documentaire et décalage vers la fiction a priori. On reste très heureux de suivre la réalisatrice Ben Hania, pour ses films habités, véritables essais artistiques, qui font jaillir leur ampleur de l’humain même et s’échinent à ne pas la lâcher.

On salue également grandement le fait de pouvoir trouver dans la course à la Palme de cette année, avec Jeunesse, l’immense documentariste Wang Bing. Grand ausculteur très patient, il étourdit et bouleverse en se penchant, à chaque long, sur un aspect de la Chine actuelle renvoyant quasiment toujours à celle d’hier. Après notamment le monumental Fengming – Chronique d’une femme chinoise, et ses trois heures de plan fixe dans un salon, amenant doucement chaque spectateur à visualiser dans sa tête à lui ou elle le parcours d’une femme sous Mao, il revient regarder de nouvelles réalités en détails. Ce film-ci a été annoncé, a priori, comme un très, très long-métrage, se penchant de manière documentaire encore une fois sur des ateliers textiles. Reste à rappeler que trois heures est une durée courte, lorsqu’il s’agit de Wang Bing : ce travail-ci s’étendra bien davantage. On se réjouit de recroiser ce cinéaste au minimalisme discret et si intelligent, pour qui le temps est un ami permettant de donner à l’humain et à ses facettes tout l’espace qu’il leur faut.

Par ailleurs, on est heureux de retrouver, avec Anatomie d’une chute, Justine Triet et sa finesse. Elle auscultera le naufrage d’un couple, conclu par une mort sans doute à élucider. Avec Swann Arlaud et Sandra Hüller dans les rôles principaux. On remercie en tout cas Iris Knobloch et Thierry Frémaux, respectivement Présidente et Délégué Général du Festival, de dévoiler ces noms.

Inattendus

Contre toute attente, c’est en Compétition pour la Palme d’or que va figurer Perfect Days, via lequel Wim Wenders repart à Tokyo, pour se centrer cette fois sur certaines de ses toilettes publiques. Un film qui affichera, peut-être, une forme hybride entre documentaire et réel un peu décalé. Par ailleurs, on a envie d’accueillir avec plaisir Banel et Adama, premier long de Ramata-Toulaye Sy et peinture, au Sénégal, de l’amour fou entre deux jeunes gens au sein d’une communauté villageoise peu ouverte. Un film qui sera distribué dans les salles françaises par Tandem.

On s’étonne aussi du retour, avec La Passion de Dodin Bouffant, de Tran Anh Hung. Hélas, s’il est agréable de retrouver celui qui dirigea L’Odeur de la papaye verte, il semble ici aux commandes d’un film à gros budget, peut-être impersonnel. Un film qui s’intéresse en tout cas à un cuisinier du XIXe siècle, et à l’une de ses ouvrières, géniale, qui l’aime en choisissant de ne pas l’épouser. Avec dans ces rôles Benoît Magimel, de retour après avoir brillé en 2022, et Juliette Binoche.

Les sujets difficiles

On croise des sujets difficiles, tel celui de Club Zero : dans cette nouvelle production anglophone qu’elle signe, Jessica Hausner se centre sur une école prestigieuse où des rapports dangereux s’établissent entre professeur et élèves. Mia Wasikowska y tient le rôle principal. La pente est encore plus glissante avec The zone of interest : ce film-ci va peindre un amour entre nazis dans l’enceinte d’Auschwitz. Un sujet qui ne rassure vraiment pas d’avance, pour un film dirigé par Jonathan Glazer et adapté de Martin Amis.

Avec par ailleurs aussi une spécialiste des sujets à scandale qui, avec L’Eté dernier, fait son retour : Catherine Breillat. Victime entre autres de terribles problèmes affectant sa santé, elle revient avec l’histoire d’une femme laissant sa vie pour vivre une passion avec le fils de son compagnon, âgé de 17 ans. Avec Léa Drucker dans le rôle central.

Les habitués

Avec Firebrand, on apprécie de voir revenir Karim Aïnouz. Lui aussi s’avance avec un film anglophone, aux allures hélas de grosse production, peut-être impersonnelle. On espère qu’il l’aura dirigé avec âme. Un long-métrage qui est un biopic de Katharine Parr, épouse au XVIe siècle d’Henry VIII. Avec dans le rôle principal Alicia Vikander, face à Jude Law.

Et l’on se prend à croiser aussi pas mal d’habitués de la Compétition même. Avec Les Feuilles mortes, c’est Aki Kaurismäki qui revient. Avec Les Herbes sèches, Nuri Bilge Ceylan se prépare à dévoiler une traversée de 3h17 centrée sur un professeur immobilisé rêvant d’être muté loin de la campagne où il exerce. Comme attendu bien entendu, Asteroid City de Wes Anderson et sa convention scientifique décalée sont là. Avec Margot Robbie, Scarlett Johansson et Tom Hanks comme têtes d’affiche. May December, lui, convoque une nouvelle fois Todd Haynes. On salue son sujet, très beau : l’histoire d’une actrice se rapprochant d’une autre interprète de cinéma, plus âgée, pour l’incarner à l’écran. Une femme qui connut une histoire sentimentale compliquée. Avec pour incarner ces figures, Natalie Portman, et Julianne Moore. Avec aussi La Chimère qui annonce une nouvelle venue pour Alice Rohrwacher dans la course, avec cette fois un récit centré sur le pillage de sites archéologiques aujourd’hui en Toscane, et sans doute des sentiments aussi dans l’air. Vers un avenir radieux rappelle à nouveau, lui, Nanni Moretti en Compétition, avec une affiche révélée par Le Pacte qui en appelle à celle de son célèbre long-métrage Journal intime.

Par contre, on aurait bien vu Monster, le nouveau film réalisé par Hirokazu Kore-eda, être projeté Hors Compétition : son réalisateur était déjà présent au sein de la course à la Palme en 2022, avec Les Bonnes Etoiles. Cette place se justifie sans aucun doute par le fait que la bande originale est signée, dans ce film de 2023, par Ryuichi Sakamoto, mort il y a peu, fin mars 2023. L’heure pour lui du tout dernier tour de piste, en quelque sorte.

Derniers tours de piste

On semble quelque peu face à un cas similaire avec L’Enlèvement, dont Marco Bellocchio affirme qu’il sera son dernier film. Un long-métrage au sujet fort et triste, se centrant sur Edgardo Montara, enfant juif enlevé au siens au XIXe siècle pour être élevé comme pupille chrétien sous la tutelle du pape Pie IX. Enfin, la situation demeure un peu la même avec The Old Oak, peut-être le tout dernier film réalisé par Ken Loach. Un long-métrage qui tire son titre d’un pub, menacé de fermeture du fait de l’arrivée de réfugiés de Syrie, situation engendrant bien sûr questionnements et engagement.

Hors Compétition : film de genre français, cinéma indien, retour de Kim Jee-won

Au final, le film d’ouverture, Jeanne du Barry, réalisé et interprété par Maïwenn, n’est pas dans la Compétition pour la Palme d’or. Au rayon blockbuster, on retrouve Indiana Jones et le Cadran de la destinée. Côté présentation de séries nouvelles ambitieuses, une partie de The idol, prévue pour sortir sur la chaîne HBO, est au programme.

Quant au très attendu Killers of the flower moon, nouveau film de Martin Scorsese avec Robert De Niro et Leonardo DiCaprio, il n’a pas les honneurs de la Compétition finalement.

En dehors de la course à la Palme aussi, on croise comme habituellement plusieurs documentaires, qui ambitionnent d’avoir des points de vue très artistiques. Surprise, avec Man in black et Le Bruit du temps, Anselm Kiefer, Wang Bing et Wim Wenders sont à nouveau présents. Deux films qui se penchent sur des artistes : dans le cas du premier, il s’agit du compositeur en exil Wang Xilin. Avec son documentaire Occupied City, Steve McQueen s’attache lui à décrire Amsterdam pendant la Seconde Guerre mondiale. Et dans Portraits fantômes, projeté comme les trois précédents dans le cadre de Séances spéciales, Kleber Mendonça Filho peint des images du centre-ville de Recife, au Brésil.

Par ailleurs, on aurait davantage vu Cobweb, dit aussi Dans la toile, le nouveau film de Kim Jee-woon, dans la course pour la Palme au lieu de Monster. Lui se centre sur un réalisateur compliqué désirant à tout prix tourner à nouveau la fin de son chef-d’œuvre, le tout sur un plateau extrêmement perturbé.

Par ailleurs surtout, Hors Compétition se trouve salué le nouveau film de genre français, via la programmation d’Acide, dans lequel le réalisateur de La Nuée Just Philippot peint un désastre provoqué en France par des chutes de pluies à forte acidité, auxquelles une famille tente d’échapper. Un long projeté dans le cadre d’une Séance de minuit, tout comme Kennedy, via lequel le réalisateur de Gangs of Wasseypur et de films produits façon Bollywood Anurag Kashyap a de nouveau les honneurs du Festival, et Omar la Fraise, d’Elias Belkeddar, polar mélancolique dans lequel un grand bandit se trouve obligé de se ranger, sous le soleil algérien, et de se faire à sa nouvelle vie.

Le Festival de Cannes 2023 se déroulera entre le 16 et le 27 mai.

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Visuel / Visuel Une : Palme d’or © L. Haegeli / FDC

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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