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[Cannes 2021, Séance spéciale] Cahiers noirs de Shlomi Elkabetz, archives de l’amour

[Cannes 2021, Séance spéciale] Cahiers noirs de Shlomi Elkabetz, archives de l’amour

08 July 2021 | PAR Yaël Hirsch

En séance spéciale à Cannes, ce n’est pas un mais deux films bout à bout, Viviane et Ronit, que le réalisateur Shlomi Elkabetz a proposés aux spectateurs. Montés avec des images filmées au fil de la vie par le réalisateur, Cahiers noirs parlent du deuil impossible de sa sœur Ronit Elkabetz, morte d’un cancer à 51 ans en 2016.

Séance spéciale

Thierry Frémaux est donc venu présenter un film-fleuve qui devait être projeté il y a un an et qui a attendu. Dernièrement, nous avions vu Shlomi Elkabetz acteur dans Our boys, nous le retrouvons réalisateur et même cinéaste obsessionnel avec Les Cahiers noirs, qui racontent sa vie au quotidien au côté de sa sœur, coréalisatrice et actrice Ronit Elkabetz, avec qui il partageait son appartement parisien et un histoire familiale qui a nourri la poignante trilogie Prendre femme – Les 7 jours – Gett. Bizarrement, il est très peu question du deuxième film dans les extraits choisis et ce sont surtout les coulisses de Prendre femme qui sont rapportés, avec un prolongement par des scènes domestiques en Israël de la superposition entre Ronit et leur mère Myriam (Viviane dans la trilogie). On voit cette somme de vie qu’est Ronit Elkabetz, immense actrice qu’on compare à Ana Magnani, et femme, pleinement, défendant ses films avec un instinct sauvage et laissant derrière elle deux jumeaux de quatre ans.

 

Le féminin et le marocain

Des 7 jours il n’est donc pas question, car le deuil est proprement impossible. D’autant plus quand il se reflète dans les paroles faussement légères de Myriam et le mutisme désormais familier du père. “Paris nous attendra”, disent souvent les personnages, avec une folle liberté entre deux pays et le pas déterminé et si élégant de Ronit qui bat le pavé. En revanche de féminité, encore et toujours, de cette femme absolue qu’est Viviane, ongles laqués de rouge, et choix d’enfin dire et rugir qu’elle est malheureuse, il est encore et toujours question. Mais l’on peut noter un brin de couverture tirée vers le père et le masculin avec la trilogie : père réel, Simon Abkarian et Shlomi lui-même qui se met en scène comme cinéaste (caméra en main) et en touche finale et brève comme ado plein de vie, encore et malgré tout, à l’assaut du fer lumineux de la Tour Eiffel. Du Maroc, il est encore et toujours question, bien sûr, avec Mogador et les rêves d’éducation brisés pour le père par l’amour de sa mère, mais aussi dans Paris même avec la superstition avérée dans la prophétie du “berbère” sur la maladie de Ronit.

Bouleversant refus du deuil 

La caméra embarquée saisit tout, et l’intime est là, mais si on y réfléchit c’est un intime choisi : de sa sœur, Shlomi ne laissera que l’image d’une femme entière, d’une mère, d’une créatrice, d’une actrice, d’une ado pleine de souvenirs de faux pas vestimentaires et d’une lionne prête à rugir pour défendre ses idées et les siens. La maladie n’est pas là, jamais, et la vie est fauchée alors qu’elle bat son plein. Tout un chacun et chacune sympathise avec ce refus du deuil, ce refus de la perte, qui nous touche comme une pulsion absolue : on peut blesser, vitupérer, mettre à nu ceux qu’on aime. La perspective de les perdre est juste inacceptable…

Shlomi Elkabetz, Cahiers noirs, Israël, 2020, 209 minutes, séance spéciale à Cannes.
visuels : © Dulac Distribution

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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