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[Cannes 2021] Onoda – 10 000 nuits dans la jungle : une somme de détails puissants pour ouvrir Un certain regard

[Cannes 2021] Onoda – 10 000 nuits dans la jungle : une somme de détails puissants pour ouvrir Un certain regard

08 July 2021 | PAR Geoffrey Nabavian

Réalisé par le français Arthur Harari, ce film qui transpose l’histoire vraie du soldat Onoda s’offre une durée imposante, pour faire exister au maximum les détails clés de son récit, et donner à suivre son personnage et son épopée folle. Une œuvre qui fait l’ouverture de la section Un certain regard, à Cannes 2021.

Japon, 1944. Le jeune Onoda est une recrue peu convaincante, sans qualités guerrière en apparence, parmi les militaires qui combattent les États-Unis sous les feux de la Seconde Guerre mondiale. On vient pourtant le chercher, pour lui proposer de mener quelques hommes. L’objectif sera de tenir une petite île verdoyante des Philippines. Au final, c’est jusqu’en 1974 qu’Onoda s’échinera à garder cette place, sans comprendre que la guerre ne fait plus rage en dehors.

Un homme perdu contre la marche du monde

Dans ce deuxième long-métrage après Diamant noir (2016), le français Arthur Harari s’intéresse à un personnage prêt à tout pour se battre, pour lutter, pour tenir, pour “être quelque chose” au sein du conflit dans lequel son pays est plongé. Homme aux qualités physiques peu impressionnantes, Onoda s’adapte pourtant aux privations qu’il subit sur l’île où il est en poste, et survit mieux et plus longtemps que ses compagnons d’armes. Cette terre insulaire subit un seul assaut américain, mais menace surtout au final ceux qui y vivent du fait des pluies torrentielles qui l’arrosent, pendant de longs mois, sans s’arrêter. On voit Onoda épouser le rythme de vie de cette île, vivre avec. Loin de tout, destiné à faire sacrifice de sa vie pour que le Japon puisse gagner la guerre, et de toute façon sans beaucoup d’attaches avec l’existence, il devient un homme perdu, ou peut-être un “homme ailleurs”.

C’est lorsque l’extérieur, marqué par la fin du conflit, lui “fait des visites” et tente d’établir des contacts avec lui que le film produit ses étincelles, et fait jaillir sa force. Visité, après des années de vie dans la forêt, par une patrouille leur criant de “quitter leur poste”, notre homme et le dernier frère d’armes qui lui reste doutent, ne reconnaissent pas les uniformes des officiels en face d’eux, font une descente de nuit vers leurs tentes, y recueillent des journaux, et sont frappés par les influences occidentales qui s’affichent dans leurs pages, désormais. Ils se disent en conséquence : “ça ne peut pas être vrai, il y a un code, c’est une opération déguisée pour nous transmettre des informations militaires”. Lorsqu’ils recueilleront une radio, ils auront la même réaction. Ces scènes apparaissent chargées d’humanité et de folie. Toute la démesure de cette odyssée passe à travers l’écran, et toute la propagande nationaliste mise dans la tête des soldats japonais lors de la Seconde Guerre mondiale devient visible et perceptible, sans qu’aucun élément souligné ne soit convoqué.

Le film utilise sa durée de près de deux heures quarante-cinq pour raconter son histoire, lui ménager le temps d’être haletante et prenante. Et davantage que l’attente, c’est donc l’importance capitale de certains détails et découvertes dans l’odyssée invraisemblable d’Onoda qui est donnée à ressentir au spectateur. Un parti-pris très juste : du même coup, ce sont les phases de son égarement que l’on reçoit et que l’on vit. On salue au passage les interprètes endossant la figure de cet homme au parcours incroyable : Yuya Endo, marqué, écorché puis finalement euphorique dans sa mission, puis lorsque viennent les vieilles années, Kanji Tsuda, impressionnant d’émotion muette et rentrée.

De la vie et de l’émotion

Au sein des images d’Arthur Harari, on retient par ailleurs les instants où l’île et son cadre naturel s’imposent, dictant leurs habitudes de vie à Onoda et à ses quelques camarades, puis finalement à lui seul. En particulier les moments où la pluie tombe en trombe – moments où l’on réalise soudain qu’elle est présente depuis des semaines en réalité – ou encore lorsque le héros et ceux qui demeurent autour de lui s’assoient sur les espaces rocheux de leur île afin de commémorer leurs longues années de veille. La photographie dirigée par Tom Harari se plaît aussi, à certains moments, à bien transmettre les teintes solaires que prennent les paysages, au sein de cet espace sauvage.

Puis, vers la fin, les images prennent une couleur davantage nimbée d’ombre : l’abandon de son poste par Onoda est peinte au fil d’un long passage émouvant, naturel, légèrement cocasse par instants. Une longue suite de scènes où la réalisation reste pudique et juste. Une fin à l’image des qualités générales du film, qui sait au final tirer de son sujet et de son matériau de départ les aspects et les détails les plus intéressants et les plus humains.

Onoda – 10 000 nuits dans la jungle est présenté au Festival de Cannes 2021, en tant que Film d’ouverture de la section Un certain regard. Il sortira dans les salles françaises le 21 juillet, distribué par Le Pacte.

Retrouvez tous nos articles sur le Festival dans notre dossier Cannes 2021.

Visuel 1 : affiche d’Onoda – 10 000 nuits dans la jungle (conçue par Florent Andréa Jarroir)

Visuel 2 : © bathysphere

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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