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“Vous ne désirez que moi”, le récit d’un amour passionnel

“Vous ne désirez que moi”, le récit d’un amour passionnel

23 January 2022 | PAR Lucine Bastard-Rosset

Après de nombreux documentaires reconnus tel que Coûte que coûte, Claire Simon signe cette fois-ci une fiction, basée sur un entretien entre Michèle Manceaux et Yann Andréa. Histoire d’une romance passionnelle, Vous ne désirez que moi sortira le 9 février prochain au cinéma.

La déconstruction

“Je veux vous décréer pour vous créer.”, tels sont les propos tenus par l’écrivaine Marguerite Duras à son amant Yann Andréa. Dévoré par une passion à son égard, ce dernier est tombé sous sa domination, au point où il en a été transformé, façonné. Il est devenu une sorte de personnage, un homme dont la personnalité a été altérée par une tierce personne. Aujourd’hui, il devient à nouveau un personnage, mis en scène dans une fiction de Claire Simon, Vous ne désirez que moi. Son corps laisse le pas à un autre corps, celui de l’acteur français Swann Arlaud.

Vous ne désirez que moi est basé sur les entretiens de Yann Andréa avec Michèle Manceaux, retranscris dans l’ouvrage Je voudrais parler de Duras. Cette interview a été réalisée au cours de deux journées consécutives, le 2 et 3 octobre 1982. A cette époque, Yann Andréa souhaitait parler de sa relation passionnelle qui dure depuis deux ans avec Marguerite Duras. Une relation qui le ronge tout en le comblant.

Une discussion au cinéma, un documentaire ?

Vous ne désirez que moi est une fiction qui se rapproche fortement du documentaire. La quasi-totalité du récit se déroule dans un même décor : la maison de Marguerite Duras. On y suit une discussion entre deux personnages : Yann Andréa et son amie journaliste Michèle Manceaux. La mise en scène est réduite à un strict minimum : de longs plans sur les acteurs, un champ/contre-champ obtenu à l’aide d’un panoramique au rythme lent. La caméra passe alternativement du visage de Yann Andréa à celui de Michèle Manceaux, interprétée par Emmanuelle Devos.

Claire Simon explique qu’elle souhaitait filmer ces entretiens “en un seul plan séquence, à chaque fois, pour donner cette impression de temps réel, de moment présent”. Ses choix artistiques l’ont poussée à réaliser des “plans très complexes, qui durent 35 à 40 minutes”. Ils permettent de centrer toute l’attention sur le dialogue et sur les expressions des personnages. Les propos tenus par Yann Andréa prennent ainsi toute leur ampleur et il est impossible d’y rester indifférent.

Ces longs plans séquences sont ponctués de séquences plus courtes qui se réfèrent à la discussion. Parfois, ce sont des images d’archives qui sont projetées, renforçant l’aspect documentaire. Elles montrent généralement Marguerite Duras, cette femme dont on entend parler depuis les premiers mots – “Je voudrais bien parler de Duras” -, cette femme que l’on ne voit jamais. Son invisibilité première – elle n’est pas présente en tant que personnage – ne l’empêche en rien d’avoir un réel pouvoir d’impact sur le récit. Par sa seule évocation elle dévient omniprésente et s’insère dans l’esprit du spectateur.

Yann Andréa, un personnage détruit par sa passion

Le film s’ouvre sur Yann Andréa, interprété avec beaucoup de sincérité par Swann Arlaud. Il est allongé sur son divan, le regard totalement perdu. Sur la table basse devant lui siège une bouteille d’alcool fort. Il se lève, marche lentement, s’arrête devant sa fenêtre, l’ouvre, se penche par-dessus le balcon et regarde en bas. Plan subjectif sur les arbres. Claire Simon a réussi en une seule courte séquence à transmettre tout le malaise vécu par le personnage. A le voir à l’écran, on se demande s’il ne va pas sauter. Il n’en est rien. Cependant, au fil de l’interview Yann Andréa emploie ces mots : “j’allais être emporté par elle [Marguerite Duras], complètement. Et comme j’ai une tendance un peu suicidaire, j’ai senti ce mouvement”. Cette simple phrase en dit beaucoup et on comprend que ce n’était pas surinterprétation que de penser à une tentative de suicide lors de la première séquence. Yann Andréa est dévoré par sa passion, un cercle vicieux dont il ne peut sortir.

On ne peut qu’être touché face à Swann Arlaud. Drapé de son col roulé, il s’approprie les mots d’un autre pour les retransmettre avec beaucoup d’émotions. Son récit emporte, sa présence à l’écran transporte. Il fait sien de cette passion qu’éprouvait Yann Andréa envers Marguerite Duras. Une passion basée sur la destruction. Cette dimension est présente sans discontinuité, appuyée par des mots toujours plus sombres et durs. “La vérité de la passion, la vérité de l’amour, c’est la mort. […] Rien ne peut exister, l’amour ne peut pas exister sans la destruction de quelqu’un, sans la mort.”

Michèle Manceaux, une auditrice silencieuse

Il n’est pas facile de jouer un rôle d’écoutante. Pourtant, Emmanuelle Devos arrive avec brillance à entrer dans le corps de cette femme qui écoute attentivement les paroles de Yann Andréa. Tout ce qu’elle pense ressort dans ses expressions corporelles et faciales. Son corps devient moyen de communication, elle prend vie par l’intensité de son regard, sa gestuelle.

Claire Simon a saisi l’importance qu’a l’écoute. En filmant sur de longs moments le visage d’Emmanuelle Devos, elle donne vie à cette femme. Dans une discussion, il n’y a pas que celui qui parle qui est important. Celui qui écoute l’est tout autant. C’est aussi un moyen de rendre plus cinématographique l’entretien. “La parole sans écoute, c’est de la mauvaise télévision, où on ne filme que des têtes parlantes qui débitent leurs opinions.”, explique la réalisatrice.

Michèle Manceaux est aussi celle qui imagine, qui visualise le récit fait par Yann Andréa. Cette dimension visuelle ressort particulièrement à deux moments. A l’écran sont projetées des aquarelles dessinées par Judith Fraggi. Elles représentent des scènes sexuelles entre Marguerite Duras et son amant. Ces dessins sont très beaux, très érotiques et marquent l’importance de la sexualité au sein de ce couple. Le choix de les montrer à travers des dessins confèrent aux scènes sexuelles une grande sensualité.

Une dimension esthétique

Le cinéma est considéré comme un art de l’image où il vaut mieux montrer que raconter. Or, Claire Simon propose un film qui se base sur la parole. Mettre en scène une discussion n’est pas chose aisée et il arrive par moment que l’attention ne soit plus à son comble. On peut en venir à décrocher à cause de la longueur des séquences.

Cette dimension sonore a poussé Claire Simon à faire des choix esthétiques qui donnent au son une véritable place. Il arrive que la musique laisse le pas à un silence complet, qui avale même les bruits. L’enregistrement de l’interview sur un magnétocassette confère aux voix une place centrale.

 

Vous ne désirez que moi nous fait entrer dans les profondeurs obscures d’une passion. C’est la découverte d’un amour à la fois merveilleux et destructeur. La découverte d’un homme qui a aimé une femme comme il difficile de l’imaginer.

Visuel : Affiche

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Lucine Bastard-Rosset
Après avoir étudié et pratiqué la danse et le théâtre au lycée, Lucine a réalisé une licence de cinéma à la Sorbonne. Elle s'est tournée vers le journalisme culturel en début d'année 2022. Elle écrit à la fois sur le théâtre, la musique, le cinéma, la danse et les expositions. Contact : [email protected] Actuellement, Lucine réalise un service civique auprès de la compagnie de danse KeatBeck à Paris. Son objectif : transmettre l'art à un public large et varié.

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