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[Reprise] « L’eau à la bouche » : le film de la chanson

[Reprise] « L’eau à la bouche » : le film de la chanson

02 December 2015 | PAR Laurent Deburge

Tout le monde connaît la chanson de Gainsbourg : « écoute ma voix écoute ma prière, écoute mon cœur qui bat laisse-toi faire, je t’en prie ne sois pas farouche quand me vient l’eau à la bouche… », mais peu savent que c’est la chanson d’un premier long-métrage tourné en 1959 par Jacques Doniol-Valcroze, cofondateur des Cahiers du Cinéma.

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Des jeunes gens reçoivent un château en héritage, comme c’est l’été et qu’on s’ennuie, chacun cherche avec qui coucher. Cet aimable marivaudage légèrement pervers n’en comporte pas moins quelques scènes étonnantes. Le générique dans lequel la caméra suit une petite fille dans les salles du château avec la voix de Gainsbourg chantant sa mélopée est plutôt gênant. C’est que depuis 1959 la pédophilie est devenue un vrai sujet.

Pareillement, voir Galabru en maître d’hôtel libidineux poursuivre de ses assiduités l’affriolante Bernadette Lafont dans son premier rôle de soubrette restée « jeune fille » mais néanmoins joueuse, jusqu’à lui arracher ses vêtements et la coincer derrière une porte, sous l’œil complice d’un Jacques Riberolles amusé, ça n’est pas franchement féministe. L’agression conduit même à la bonne fortune puisque la belle Bernadette cède à l’absence de charme du gros bonhomme à peine deux minutes plus tard. Le viol ne devait pas davantage être un vrai sujet à l’époque.

Il ne s’agit pas de jouer les effarouchés ni de faire la morale, mais de constater les glissements progressifs des mœurs ou des valeurs à travers les âges. La libération sexuelle promise dix ans après ce film s’avère rétrospectivement, et à l’aune de notre époque à la permissivité très encadrée et finalement très politiquement correcte, avoir été un feu de paille. On a sans doute jamais été aussi libre sexuellement que sous l’occupation petite-bourgeoise…

Ce qui empêche un film de tout à fait vieillir se sont les acteurs. Bernadette Lafont est intense de sensualité et d’espièglerie, quelle merveille, et quel physique… Alexandre Stewart est superbe et sensible, Françoise Brion, épouse du réalisateur, élégante et profonde. C’est une découverte que de revoir Jacques Riberolles, acteur en vogue à cette époque, égoïste et sûr de lui, qui donne une hilarante leçon de séduction à l’empoté Michel Galabru. Riberolles c’est l’archétype du macho, bien loin du « lumbersexuel » contemporain. Un homme un vrai, quoi… de l’espèce dinosaure mais non sans charme. Au passage, c’était le Lancien des « Demoiselles de Rochefort ».

On s’ennuie quand même un peu dans ce film, comme ces héritiers insouciants n’ayant d’autres loisirs que l’érotisme. « Ô châteaux, ô pornos »… aurait dit Manchette.

C’est lorsque l’orage arrive que le film se teinte d’une pincée de surréalisme, les silhouettes s’allongent d’ombres à la Chirico ; Paul Delvaux ou Duras ne sont pas loin et l’on se retrouve l’espace d’une séquence transporté dans un Marienbad est-pyrénéen. Les images tournées par Claude Zidi, en tant qu’opérateur, deviennent stimulantes et poétiques. Les zooms en revanche… est-ce que ça a déjà marché au cinéma ? Il faudrait demander à l’équipe de « Blow-up » sur Arte d’étudier la question…

Le personnage le plus fascinant du film reste le château d’Aubiry, à Cléret, qui sert de décor. Il fut commandé à l’architecte danois Viggo Dorph-Petersen par l’industriel Pierre Bardou-Job. Il donne très envie d’aller y batifoler.

L’eau à la bouche, de Jacques Doniol-Valcroze, avec Françoise Brion, Bernadette Lafont, Alexandra Stewart, 1960, France. Reprise en version restaurée le 25 novembre 2015.


Visuel : (c) DR

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