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Walid Rachedi co-fondateur de la revue “Frictions” : “La fiction raconte l’intime d’une société”

Walid Rachedi co-fondateur de la revue “Frictions” : “La fiction raconte l’intime d’une société”

11 June 2020 | PAR Yaël Hirsch

On entamait à peine le déconfinement que la toile nous offrait en ce début du mois de juin une revue multimédia qui laisse entendre des voix créatives et donc documentées sur la crise que nous traversions. Co-Fondateur et Directeur de Publication de Frictions, Walid Rachedi nous parle de ce projet, créatif, ambitieux, international, plurimédia et qui dédie sa première saison à documenter l’intime face au COVID-19.

En quoi la maladie a-t-elle aidé le projet à “incuber” ; en quoi au contraire a-t-il été difficile de tout faire confiné(s)?
Cette crise a eu un effet paradoxal : financièrement parlant, ça a coupé quasiment toutes les sources de revenus sur lesquelles nous comptions à court terme et ralenti le programme d’incubation que nous venions d’intégrer chez Paris&Co. Sur le plan éditorial, cela a été une aubaine car la crise du coronavirus est un phénomène mondial, un sujet de conversation global. Or l’objet de la revue est précisément de donner vie à cette conversation à travers les voix et les perspectives d’auteurs du monde entier. La crise a donc été un catalyseur du projet.

Est-ce qu’on peut dire de Frictions que c’est une “revue”, ou le caractère plurimédia, le studio, le club et l’usage documentaire de la fiction dépassent-ils ce format?
Nous aimons bien le mot revue car il traduit l’idée d’une exigence éditoriale, d’un contenu plus pérenne qu’un magazine et aussi l’idée d’une prise de recul, contrepoids nécessaire à la frénésie des réseaux sociaux. Le caractère plurimédia, c’est l’air du temps. Nous avions les chansons de gestes au Moyen-Age, les livres ensuite, aujourd’hui nous avons ces nouvelles formes mêlant son, image et textes. L’important, c’est l’acuité du regard et l’exigence. Sur la question documentaire, c’est l’influence anglo-saxonne qui fait une séparation moins nette entre fiction et non-fiction. Il y a moins de tabous à assumer une subjectivité dans le journalisme et un côté divertissant et haletant dans le reportage. Sur le studio, à l’instar de ce que font Nouvelles Écoutes ou Louis Media, nous voulons coproduire des programmes et mettre la force de notre réseau d’auteurs au service de beaux projets de création et aussi, côté annonceurs, des marques susceptibles de se reconnaître dans notre démarche.

Pouvez-vous nous parler de la ligne éditoriale “Des voix singulières. Du monde entier” ? Quel est le lien entre fiction et authenticité, des points de vues a priori proposés ?
Albert Camus disait que la “La fiction est le mensonge par lequel nous disons la vérité”. La fiction raconte l’intime d’une société. Et nous croyons que la force de la Littérature, c’est de créer les conditions pour se connecter à une réalité différente de la sienne. Quand on regarde Netflix, quoiqu’on pense de la qualité des programmes, la variété des thèmes et des regards est impressionnante. Une infinité de microcosmes.
Nous souhaitons que Frictions permette, sur de grands sujets de société, de montrer la variation de perception à travers le monde. Qu’est-ce qu’être un homme après #MeToo par exemple ? Cela veut certainement dire quelque de différent à Paris, Mexico, Alger, Shanghai… Nous avons envie d’entendre ces histoires. Des histoires qui vont au-delà du simple témoignage.

Comme son titre l’indique Frictions n’hésite pas à mettre en avant des points très sensibles, par exemple dans Issam, Fossoyeur malgré lui, la volonté d’enterrer une femme musulmane selon le rite vs le danger de laver et inhumer un corps mort du Coronavirus …
Oui, c’est une histoire poignante, basée sur des faits réels. Elle pose la question de la place du sacré dans nos sociétés. C’est un sujet sensible, surtout en France où nous avons un rapport torturé au religieux. Un sujet sensible, ce ne veut pas dire à éluder… On peut parler de tout s’il y a de la bienveillance et une volonté de comprendre la position depuis laquelle l’autre s’exprime. Dans l’histoire d’Issam, ce qui nous connecte à lui, c’est son humanité, sa volonté de respecter les dernières volontés de sa grand-mère. C’est un lien affectif fort, indépassable. C’est pour le coup assez universel.

Le site est accessible en anglais et en français ; d’autres langues sont-elles prévues ? Qui traduit ? “Traduction, Trahison” ou au contraire “Traduction, Création” ?
Belle question ! Nous avons choisi le français car nous sommes Français. C’est déjà une bonne raison (rires) et aussi parce que cela reste une langue phare de la littérature. Écrire en français, ça veut dire quelque chose. L’anglais reste LA langue de passage. Pour la suite, a minima nous mettrons à disposition les textes dans la langue de l’auteur. Des développements en espagnol et en portugais, par exemple, sont des choses qui auraient du sens, vu mon tropisme pour l’Amérique latine – j’y ai habité plusieurs années et continue d’y séjourner régulièrement – et la vitalité de la scène littéraire.
Nous avons un comité éditorial avec des anglophones bilingues qui ont permis la traduction vers l’anglais. Vers le français, nous avons fait pas mal de choses nous-mêmes avec des relectures successives par des correcteurs.
C’était un travail titanesque. Pour la suite, nous aurons besoin de nous renforcer.
Traduire, c’est forcément adapter. Par exemple, dans les textes de Tati Bernardi, qui est une écrivaine à succès au Brésil, il y a énormément de références à la vie paulista. Traduire, c’est rendre intelligible, donc il faut parfois faire preuve de créativité pour garder l’esprit. Mais trahir, jamais !

Le format vidéo est-il prévu ? Dès la première saison ?
Pas pour le moment, même si nous réfléchissons à des formats spécifiques pour les réseaux sociaux. En revanche, nous adorerions adapter des textes en coproduction avec des acteurs de l’audiovisuel. Quand on voit le succès de “Modern love” du New York Times, devenu un podcast, puis une série, on se dit il y a du potentiel pour Frictions !

Comment avez-vous rencontré Ryad Maouche et les autres membres de l’équipe ? Qui choisit les auteurs ? Quelles sont les exigences artistiques ?
Ryad est mon frère. On a 13 ans de différence, des regards et des tempéraments complémentaires. Il est journaliste et a un tropisme pour le reportage, les nouveaux formats. On travaille avec un réseau de professionnels indépendants issus de nos cercles professionnels et amicaux. A l’avenir, on espère constituer une vraie équipe. Sur le choix des auteurs, c’est un mélange de choix éditorial et de propositions. Par exemple, pour la prochaine saison, nous avons déjà quelques thèmes forts que nous souhaitons développer. Dans le même temps, nous sollicitons des auteurs que nous connaissons ou repérés via les réseaux sociaux. Pour la suite, l’idée c’est de fonctionner comme le fait n’importe quelle revue : propositions spontanées des auteurs et appels à textes.
Notre critère principal, c’est l’acuité du regard. Une acuité qui se traduit par une qualité d’écriture. A quoi il faut ajouter la capacité à savoir écrire dans un format court et dense, et idéalement sériel pour ceux qui se prêtent à l’exercice d’une friction complète.
Sur la prise de son, le documentaire fait avec Emily s’est fait dans des situations assez exceptionnelles – elle a dû faire elle-même ses prises de son en raison du confinement. Le travail de réalisation a été ensuite assez ardu, mais la matière était belle et riche. D’où le beau résultat. Mais, pour la suite, nous imaginons produire ou copoduire des podcasts. Ce sera le cas pour la fiction “Épidémiques” : le podcast sort très bientôt, interprété en français par le comédien Julien Bleitrach, de la compagnie L’Autre Monde, et mixé par Clotilde Fauchille, ingénieure du son sur la tournée de Philippe Katherine. La scène podcast offre de belles opportunités de collaboration en France et à l’international.

Une “saison” dure à peu près un trimestre. Tous les épisodes sont-ils prévus d’avance ou cela avance-t-il comme un palimpseste ou un cadavre exquis ? 
Comme pour une revue papier, on a déjà un plan éditorial pour la saison. L’idée est que le contenu soit prêt en amont, sans s’interdire des surprises de dernière minute. En septembre, on compte parle de ce fameux “monde d’après”. Il y a une ébullition mondiale dont on veut prend le pouls !

Quel est le modèle économique ?
A terme, nous souhaiterions devenir une plateforme d’histoires et d’auteurs susceptibles de nourrir des projets audiovisuels et éditoriaux. Lagardère a investi sur Wattpad pour détecter les prochaines pépites pour Netflix… C’est une piste. Sinon, sur le court terme, le club proposera des événements et des contenus exclusifs à nos lecteurs. On réfléchit à une logique de “membership”. Nous comptons travailler avec des annonceurs pour les aider à trouver leur voie et renouveler leurs histoires et espérons coproduire des programmes avec des médias. C’est l’idée derrière le studio.

Quelle est ou sera la part du physique ; papier et rencontres pour Frictions?
On aimerait beaucoup avoir une revue papier annuelle qui reprendrait les meilleurs frictions. Pour les rencontres, elles seront en ligne et aussi en physique, on l’espère. Des masterclass, des performances, les idées ne manquent pas… A voir ce qu’il sera possible de faire dans “Le monde d’après”.

Visuel(s) : Frictions

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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