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Emmanuelle Jouan : “les chorégraphes sont les maîtres de l’espace”

Emmanuelle Jouan : “les chorégraphes sont les maîtres de l’espace”

26 June 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le Théâtre Louis Aragon, scène conventionnée d’intérêt national Art et création – danse prend ses quartiers d’été à Avignon, avec La Belle Scène Saint-Denis, à La Parenthèse, haut lieu de référence pour les fous de danse contemporaine. Et cette année, plus que jamais, ça bouge !

 

La Belle Scène Saint-Denis, c’est évidemment le théâtre Louis Aragon, qui a été associé au Forum Blanc-Mesnil puis au TGP. Et cette année vous êtes toute seule. Je voudrais savoir pourquoi  ?

C’est un concours de circonstances, puisqu’on était vraiment très bien dans notre partenariat avec le TGP et avec Jean Bellorini. C’était très joyeux et ça se passait dans un équilibre d’amitiés et de moyens qui était vraiment très intéressant. C’était un mariage un peu improbable entre une scène conventionnée danse et un grand théâtre national. C’était inédit qu’un centre dramatique national s’associe à une scène conventionnée pour mener ensemble un projet comme ça. Quand Jean Bellorini a été nommé directeur du TNP à Villeurbanne nous avons commencé à échanger avec nos partenaires pour voir ce qu’on allait bien pouvoir faire sans l’apport financier ni les moyens humains du TGP, avec la même scène. Et il y a eu la réaction des danseurs qui nous ont dit : “il ne faut pas que vous laissiez tomber. Il y a trop peu de diffusion, trop peu de visibilité de la danse”. Ce qui est évidemment notre intime conviction. Il a donc fallu trouver des solutions pour continuer à aller à Avignon avec les équipes artistiques chorégraphiques. Et fort opportunément, le département de la Seine-Saint-Denis – qui est un partenaire essentiel dans ce dispositif –  a validé l’idée, et la DRAC d’Ile-de-France a décidé de s’associer au projet. Mieux encore, cela est entré dans notre conventionnement. Désormais, la Belle Scène Saint-Denis fait partie du projet de la scène conventionnée danse TLA. C’est  venu appuyer la volonté de défendre la danse à cet endroit-là. Cela ne se fait pas sans les partenaires, notamment la ville de Tremblay-en-France, évidemment, qui ne nous a jamais lâchés. Finalement c’est vraiment un retournement extrêmement positif pour nous. Nous devions expérimenter la première édition la saison dernière, c’est une nouvelle première j’ai envie de dire. C’est une vraie première !

Est-ce que vous pouvez m’expliquer ce qu’est Danse Dense et ce que vous allez faire avec cette structure ?

Danse dense, c’est une plateforme d’accompagnement de projets artistiques de jeunes chorégraphes. Un accompagnement à l’émergence chorégraphique qui se situe en Seine-Saint-Denis, et qui développe à travers des plateformes régulières, des temps forts, sur des festivals – par exemple au Manège de Reims – qui présentent de jeunes équipes. On a souhaité s’associer avec eux, en lien avec ce qui s’était passé avec le soutien de la DRAC, sur une plateforme à la Belle Scène Saint-Denis. C’est une programmation sur quatre jours, du 10 au 14 juillet. Nous avons voulu rendre visible le soutien de la DRAC à travers l’accompagnement des trois jeunes équipes émergentes soutenues par ce programme Danse Dense. C’est une façon d’être solidaire et de faire profiter de jeunes équipes, qui sont en ce moment plus qu’en difficulté, d’une visibilité à Avignon en collaboration avec nous. La Belle Scène Saint-Denis, c’est un endroit d’accueil.

C’est un endroit d’accueil qui est très suivi par les professionnels. Est-ce que c’est quelque chose que vous désiriez ?

Exactement, c’était ça au tout départ avec Le Forum de Blanc-Mesnil. C’est ce sur quoi nous avons toujours travaillé – Le Forum et nous – en lien avec le département de la Seine-Saint-Denis et la DRAC, sur ce dispositif d’artistes associés qui était tout à fait exemplaire en Seine Saint-Denis. Il faut saluer l’accompagnement exceptionnel qui existe dans nos maisons. Nous tissons des liens très forts avec le territoire. C’est notre travail au quotidien, mais il manquait vraiment un maillon à la chaîne d’accompagnement, qui était celui de la visibilité des créations produites par nos maisons. Pendant très longtemps, passé le périphérique c’était juste inimaginable de venir pour les programmateurs et la presse. Nous faisions ce constat amer d’une production en Seine-Saint-Denis de très grande qualité, avec de très grands artistes qui sont voués ensuite à des parcours nationaux et internationaux exemplaires, et qui n’avaient pas de visibilité. Et donc on s’est dit : où est-ce qu’on pourrait enfin remplir notre mission jusqu’au bout ? La Belle Scène, c’est vraiment nous. C’est comme une déterritorialisation. Donc c’était un pari, on y a tout mis pour vraiment aller au bout de notre mission d’accompagnateurs de l’équipe artistique. C’est-à-dire que les œuvres soient  vues et  que ça rebondisse pour les artistes associés dans des CDC, des CDN, des résidences… La première année, on a senti un frémissement et ça n’a fait qu’augmenter. Et aujourd’hui, on ne peut pas arrêter, parce que très humblement, c’est indispensable. Cela donne vraiment la possibilité à des équipes artistiques de rencontrer des pros et d’avancer dans leurs parcours d’artistes. Et c’est ça notre objectif. 

A la Parenthèse, on a pu voir Myriam Gourfink le matin en train de s’échauffer, Amala Dianor s’étirer encore plus qu’il ne sait le faire.  C’est une programmation qui est très exigeante et très contemporaine et qui est assumée comme telle.

En fait, on travaille exactement comme on travaille dans nos maisons. C’est-à-dire que nous programmons à la fois les artistes qui sont présentés en saison ou qu’on accompagne, ou ceux qu’on a accompagnés dans le cadre de nos artistes associés. C’est une sorte de parcours vertueux.

Oui, mais y a quand même une idée de festival à la Parenthèse, qui rappelons-le est un lieu en plein air où le soleil mord dès midi. Cela nécessite une sacrée organisation.

Il y a une chose très concrète, c’est que tout le monde n’a pas une proposition qui tient la route en plein air à 10 heures du matin sans régie lumière. Nous sommes à l’écoute des artistes. Ils peuvent nous appeler en disant : là je suis en train de faire un solo ou un duo, est-ce que tu penses que ça trouverait sa place ? Après, avec Nathalie Yokel qui travaille avec moi, accompagne les artistes, suit la programmation danse du TLA et les résidences, on réfléchit à une programmation équilibrée. Aussi, on discute avec les artistes pour voir si c’est bien le moment de présenter tel type de travail ou pas. Là, c’est un vrai travail de programmation comme on le fait toute l’année, mais de toute façon on est contraint par l’endroit même.

D’autant que c’est un lieu devenu professionnel, est-ce que ce n’est pas une prise de risque énorme de venir montrer son spectacle quasiment à nu ?

Tous les artistes veulent venir. Et ils repensent aussi les pièces pour venir. Cela fait partie aussi de ce qui est en train de se jouer de manière forte dans les écritures chorégraphiques. Les chorégraphes sont les maîtres de l’espace. Ils arrivent à réinventer leurs pièces aussi, pour qu’elles soient recevables dans les meilleures possibilités, dans les mêmes conditions à Avignon. Le cadre est celui de la résidence d’artistes associés, on leur propose d’expérimenter leur travail  sur le grand plateau, dedans, dehors mais aussi à Avignon dans le cadre de la Belle Scène Saint-Denis. Il y a un fort désir en général. Après c’est  à nous de dire non à un artiste si on pense que cela va le  mettre en difficulté.  Il y a toujours une prise de risque dans la programmation. Il y a toujours un moment où on va s’être trompés. C’est exactement notre travail à l’année :  donner une visibilité à la diversité du champ chorégraphique.

Une diversité uniquement contemporaine. Ça ne déborde pas trop chez vous ( rires)

Il y a quand même toujours du Hip-Hop !

Mais le Hip-hop c’est de la danse contemporaine ! Et vous faites un travail dément  pour montrer justement que c’est une écriture contemporaine.

Exactement ! Et nous allons  continuer cette année avec Mellina Boubetra. Je suis contente que vous me le disiez car la majorité fait une distinction. Mais pour moi, c’est le champ de la danse aujourd’hui. Il est divers et nous essayons de donner une visibilité à la diversité de ce champ.

Vous êtes sur un Hip-hop de lignes, sur une forme contemporaine du Hip-hop. Il y a plein de formes urbaines sur les plateaux, il y en a que vous suivez, d’autres que vous ne suivez pas. Je trouve que la ligne est quand même bien tenue (et j’aime beaucoup).

C’est une question qu’on se pose tout le temps. On peut, dans notre programmation à l’année, aller vraiment sur les pratiques de danses libres. Là, à Avignon, nous cherchons quand même des auteurs. Notre projet artistique au TLA, c’est de faire le lien entre le dansé et le chorégraphique, de trouver des endroits où il y a un passage qui peut se faire et que des personnes qui sont dans la pratique de la danse rentrent aussi dans des univers nouveaux, découvrent des choses, ouvrent leur spectre. C’est notre boulot de service public de l’art et de l’art chorégraphique.

Après, souvent aussi, ce sont des interprètes qui peuvent faire avancer les choses. Je pense à Amala Dianor qui une année avait fait venir trois jeunes danseurs de Strasbourg, trois garçons qui venaient clairement de la scène Hip-hop. Et c’est la rencontre entre lui et eux qui a fait surgir quelque chose.  Ce qui nous intéresse ce sont les rencontres, ce n’est pas s’enfermer dans une chose ou une autre. C’est vraiment notre ADN.

Pour la première fois, il y aura de la danse toute la journée à la Belle Scène Saint-Denis, que va-t-il se passer l’après-midi ?

On a notre programme en deux sessions comme d’habitude. Le matin du 7 au 11, trois équipes artistiques : Jean Baptiste André, Herman Diephuis et Mellina Boubetra. Et puis la deuxième semaine, du 12 au 16, Clédat & Petitpierre, Sylvain Prunenec  – ça va être magnifique – Bastien Lefèvre et Clémentine Maubon. Et puis Maël Minkala, qui est un artiste qu’on a rencontré grâce à Herman Diephuis à l’Institut français puisqu’il a été lauréat du dispositif Visa pour la danse. Là, on va découvrir son travail, c’était important pour nous de lui donner une place dans la Belle Scène. Donc ça, ce sera le matin. Et il y aura cette fameuse plateforme du 10 au 14 juillet à 17 heures, où il y aura Rebecca Journo et Marine Colard, deux jeunes chorégraphes de talent, et il faut qu’elles soient vues. On va accueillir la compagnie K622 et Mié Coquempot, et on va présenter les deux premières pièces de Mié An H to B  et  Nothing but, ce qui est important pour nous parce que Mié est une artiste qui a compté pour les scènes conventionnées. On voulait vraiment lui rendre hommage. Ça devait être l’année dernière, ça n’a pas pu avoir lieu donc on a dit : on le fait, ça va être hyper beau de rentrer dans son univers tout au début de la soirée. Par ailleurs, Danse Dense accompagne aussi la compagnie K622 dans la suite de la visibilité du répertoire de Mié, donc c’était important pour nous d’être solidaires avec cette démarche.

Oui, surtout qu’il n’y a pas beaucoup de lieux qui lui ont rendu hommage. Pourquoi la programmation de l’après-midi s’arrête au 14 ?

C’est qu’en fait malgré les soutiens de la DRAC et des partenaires, nous n’avons pas les mêmes moyens ni les mêmes marges de manœuvre qu’on avait quand le TGP était avec nous. Clairement, porter seule financièrement 100% le matin et 100% le soir, aujourd’hui (peut-être l’année prochaine on pourra), il va falloir donner la preuve que ça marche. On doit programmer de la danse le soir aussi, pas du théâtre, et peut-être que l’année prochaine, si tout va bien, on pourra se dire qu’on se fait un programme danse matin, midi et soir.

Le midi ça n’aura jamais lieu à la Parenthèse, ou sinon faut mettre la clim dehors.

Non, ça n’aura jamais lieu et c’est très bien comme ça !

Visuel :© Valérie Frossard

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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