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L’interview confinée de Nasser Djemaï : “Je n’arrive pas bien à réaliser ce qui se passe”

L’interview confinée de Nasser Djemaï : “Je n’arrive pas bien à réaliser ce qui se passe”

30 March 2020 | PAR Julia Wahl

À la rédaction, une idée a surgi dans les boucles de mails : faire parler des artistes, leur demander « comment ça va ? » et comment ils vivent leur confinement, ce que cela provoque en eux. Aujourd’hui,  l’auteur et metteur en scène Nasser Djemaï nous répond.

Comment ça va ?

Je vais plutôt bien. Un petit peu sidéré par l’état actuel du monde. Je n’arrive pas bien à réaliser ce qui se passe, mais en même temps on voit bien que le monde est à l’arrêt.

Pouvez-vous développer ce que vous entendez par « l’état actuel du monde » ?

Nous sommes dans une mutation profonde et j’ai l’impression que tous les événements qui se sont passés depuis deux ans, qui ont démarré avec les Gilets Jaunes et se sont poursuivis avec les différentes revendications sociales… J’ai l’impression que ce virus est vraiment la cerise sur le gâteau et que tout ça vient encore plus fragiliser une société qui était déjà bien divisée. Dans le fait d’être confiné, j’ai l’impression d’être face à une cocotte-minute sous haute pression.

Et le confinement lui-même, vous le vivez comment ?

L’avantage des artistes, c’est qu’on travaille quand même beaucoup de chez nous. Donc, pour l’instant, ça se passe plutôt bien. Simplement le fait d’avoir les enfants à la maison et que tout se passe en huis clos, comme ça, il y a quelque chose d’assez oppressant. Et, en même temps, j’essaie de renverser la situation et d’en faire un avantage, de me réorganiser pour faire des choses que je n’ai pas pu faire jusqu’à présent.

Comme quoi par exemple ?

Par exemple, j’essaie de lire des ouvrages que je n’avais pas pu lire jusqu’à présent, de terminer des chantiers d’écriture que j’avais laissés un peu en plan. J’essaie de prendre aussi un petit peu de temps pour rêver, pour me reposer. Jusqu’à présent, j’étais soit sur les routes, soit au travail. Là, j’ai l’impression de retrouver un semblant de normalité. Mais je sens que les choses vont trouver très vite leurs limites.

Vous sortez un peu ou pas du tout ?

J’essaie de sortir un peu, de faire un peu de sport, de sortir avec mon petit garçon. Mais, non, je ne sors pas beaucoup.

L’un des avantages que vous avez peut-être, par rapport à d’autres metteurs en scène, c’est que vous êtes écrivain, ce qui est une activité solitaire qui n’a pas forcément besoin de contact avec l’extérieur.

Oui, c’est vrai qu’il y a une habitude de travailler de manière autonome et que j’ai appris au fil des années à structurer mes journées pour être à la fois productif et avoir du temps pour écouter des émissions, lire des livres et écrire en même temps. Mais, de manière générale, je dirais que les artistes, on est quand même plus armés pour subir le confinement, parce qu’on a des journées qui ne sont pas structurées comme les gens qui vont au travail normalement.

Vous aviez aussi un nombre non négligeable de dates prévues en mars et en avril qui, j’imagine, ont été annulées…

Oui, certaines dates ont été annulées, d’autres ont été reportées. Le combat avec mon administratrice, c’est de faire en sorte que les dates puissent être réglées pour pouvoir payer les salaires pour les artistes et les techniciens. Certains lieux jouent le jeu, d’autres pas, et ça bouffe beaucoup d’énergie.

Du coup, vous arrivez à avoir une vision de l’avenir, sur le plan professionnel ?

J’essaie de ne pas être trop pessimiste, mais j’ai l’impression que tout est tout ce qui est en stand-by aujourd’hui sera répercuté sur la saison prochaine. Malheureusement, j’ai l’impression que les spectacles qui étaient déjà fragiles en termes de production vont être encore plus fragilisés après. J’avoue que j’ai du mal à me projeter, à imaginer à quoi ressemblera le métier dans quelques mois ou dans quelques années. En tout cas, je sais qu’on sera plus les mêmes avant et après.

Les différentes sociétés d’artistes essaient de parlementer avec le Ministère de la Culture pour prendre en compte les difficultés financières qui vont s’ensuivre…

Oui, il y a un énorme travail qui est fait par le SFA [Syndicat français des artistes-interprètes], le Syndeac [Syndicat des entreprises artistiques et culturelles]. Mais j’ai l’impression que tout ça reste encore très flou et que la mise en œuvre va prendre un certain temps. Sur le principe, tout le monde est d’accord. Maintenant, comment tout cela va se traduire dans le réel et s’articuler avec les différentes structures, tout ça va à mon avis prendre beaucoup de temps pour trouver un semblant de réparation.

Avez-vous pu développer quelques routines pour faire descendre l’angoisse liée au confinement ?

Oui. J’ai l’habitude de me lever très tôt le matin, vers 5h30-6h. J’aime bien me lever vers 5h00 du matin, écrire jusqu’à 8h30-9h. Ça me permet d’être dans une dynamique d’écriture immédiate et d’avoir un peu de calme à la maison (rires). Ensuite, j’organise ma journée avec du télétravail et des coups de fil jusqu’au milieu de l’après-midi. En fin d’après-midi, j’essaie de courir un peu autour de chez moi. Le soir, j’essaie de regarder des films que je n’ai pas pu regarder auparavant, comme Rocco et ses frères, des films de Tarkovski… Comme je ne suis pas du tout séries, j’ai commencé à en regarder certaines comme Breaking Bad.

Vous parliez à l’instant d’écriture ; est-ce que vous pouvez me parler de votre projet ?

Pour l’instant, c’est difficile d’en parler, parce que c’est vraiment des pistes. Ça va tourner encore autour du noyau familial, sur l’absence et les non-dits. c’est vrai que la période de confinement renforce encore le goût que j’ai pour l’enfermement, qui prend une ampleur encore plus forte.

Crédits photo : Pascal Cholette

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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