Le Forum du Blanc-Mesnil : un théâtre va disparaître, et laisser un vide dans une ville
Il a accueilli en résidence de nombreux artistes de théâtre contemporain aujourd’hui très connus, en les soutenant à leurs débuts. Depuis vendredi soir, tous les spectateurs qui le fréquentaient savent qu’il a perdu son statut de scène conventionnée. Le Forum du Blanc-Mesnil va cesser d’exister. Extrêmement dommage : par bien des côtés, il réalisait, mieux que beaucoup, sa mission de lieu théâtral intégré dans une ville.
Au cours du dernier mois, les médias, lorsqu’ils parlaient de la situation incertaine du Forum du Blanc-Mesnil, rapportaient ce mot employé par Thierry Meignen, maire UMP de cette commune : « élitiste ». La programmation de cette scène conventionnée était moderne. En recherche. Mais les compagnies résidentes avaient une mission spécifique : faire participer les habitants de la ville à cette recherche. En 2013, comment Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre en vint-il à monter Agamemnon de Sénèque ? Suite aux programmes « Aidez-nous à choisir un classique », et « Aidez-nous à répéter un classique » (vidéo à regarder), lancés par sa compagnie, le Théâtre Irruptionnel. Lors du premier, les spectateurs votèrent : pour réfléchir sur les « femmes de pouvoir », qu’avaient-ils envie de voir, au Blanc-Mesnil ? Hamlet, Rodogune de Pierre Corneille, ou Agamemnon ? Et après l’intellectuel vint le sensible : en 2013, lors des représentations de la pièce de Sénèque, les Troyennes prisonnières, ramenées par Agamemnon, étaient incarnées, sur le plateau, par des habitantes de la ville. Et la petite Electre, devant choisir son destin, par une collégienne.
Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, en résidence de 2010 à 2013, aime à traquer dans ses pièces les multiples visages de la jeunesse, et des cultures arabes. Frédéric Sonntag, l’un des artistes qui lui succéda, ne travaille qu’autour des nouvelles technologies. Xavier Croci, directeur du Forum, était arrivé, comme il l’écrit, à « mettre en relation la création artistique » avec les préoccupations de « tous les habitants d’un territoire ». Afin qu’artistes et spectateurs tâchent d’avancer ensemble, en un même mouvement. A ce titre, certains membres du public étaient devenus des fidèles du Forum. Nelly, blanc-mesniloise depuis cinquante ans, fréquentait cette scène contemporaine bien avant le signataire de ces lignes. Ce qui lui avait permis de traverser, à raison d’ateliers de réflexion et de pratique, les univers de Michel Cerda, du Théâtre Irruptionnel, du collectif D.R.A.O. ou de Victor Gauthier-Martin. Chacun « investissait la ville à sa façon », proposant aux participants de jouer des spectacles où le public déambulait, de faire des représentations en appartement… Le Forum comptait dans le paysage théâtral français contemporain, comme dans le coeur et dans l’esprit de certains habitants. Et on peut rappeler, par ailleurs, qu’il programmait chaque saison des pièces purement divertissantes. Des mises en scène de textes classiques, bien souvent.
Une partie de la population de la ville a voulu du changement. Certains en avaient-ils assez de ces spectacles modernes programmés ? N’accusons personne, on a trop peu d’éléments. Ce qu’on sait, c’est que « 70% des spectateurs du lieu éta[ient] des habitants de la Ville du Blanc-Mesnil » (communiqué du Ministère de la Culture, émis le 20 novembre). Et que dans tous les cas, la création théâtrale ultracontemporaine et les habitants du Blanc-Mesnil n’étaient aucunement incompatibles. Elles ont abouti ensemble, au cours des années précédentes, à des rencontres. En 2011, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, dans Métropolis, avait choisi de peindre une boîte de nuit, avec Sms dans le texte. Interrogé à l’époque, il confiait que les spectateurs lycéens s’étaient sentis « plus concernés » par Le Roland, son projet d’avant, trilogie avant-gardiste réécrivant la célèbre Chanson de Roland. A coups de jets de sang, d’implication extrême du public, de mots répétés à outrance… Car qui peut prétendre savoir ce qu’il faut « rendre » à ces habitants, sur la scène du théâtre de leur ville ? Et ce qu’ils ont réellement besoin de voir ?
Visuels : deux étapes d’une création. Ici, texte composé par le Théâtre Irruptionnel à partir de paroles d’habitants du Blanc-Mesnil, et joué par ses comédiens, dans des lieux municipaux ; puis Le Grand Ici, présenté en 2013, où les habitants sont directement montés sur scène. © LE FORUM/SCENE CONVENTIONNEE DE BLANC-MESNIL
Visuel Une : Le Forum, et la place sur lequel il se trouve. © LE FORUM/SCENE CONVENTIONNEE DE BLANC-MESNIL
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Anaïs de Courson
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94 rue du fbg du temple 75 011 Paris
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Teaser : http://youtu.be/FCbeA8VFjHU
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