L’avant-garde en collectif sur les planches
Et si l’avant-garde théâtrale se situait dans un retour à l’idéalisme des années 70 ? Hier comme aujourd’hui, travailler en collectif pour les nouvelles générations d’acteurs et de metteurs en scène qui se succèdent semble être motivé par une profonde volonté de double remise à plat, celle de la pratique du métier et celle de l’offre artistique.
Le collectif se présente comme une proposition alternative, à contre-courant, optant pour les chemins de traverses. Mais tout en refusant la convention et l’académisme, il ne rechigne pas le coup de pouce des institutions qui l’accompagnent (citons les petites et grandes scènes de la Colline, du Rond-Point, du théâtre de Vanves, formidable vivier de jeunes artistes prometteurs, du théâtre de la Bastille, des Bouffes du nord, du festival d’Avignon…). Alors que le théâtre du Soleil fêtera ses 50 ans dans quelques semaines avec les représentations à la Cartoucherie d’un Macbeth de Shakespeare mis en scène par sa papesse Ariane Mnouchkine, il est intéressant de voir que ce recours au groupe, au travail de troupe, à l’écriture collective et de plateau, reste le moteur d’un certain nombre d’acteurs tendant avec conviction et utopie à renouveler le paysage théâtral français.
Si les collectifs de théâtre reviennent donc en force sur les planches et imposent leur patte, c’est parce qu’il s’agit toujours et avant tout de repenser et d’expérimenter la pratique même du théâtre.
Créée à Anvers en 1989, la compagnie flamande des tgstan se distingue par son refus d’un spectacle théâtral régi par la figure tutélaire du metteur en scène. Tous ses acteurs membres participent à égalité au processus de création. Elaborer, écrire collectivement des pièces, reconfigurer la hiérarchie inhérente à la troupe et assumer son rôle de créateur, voilà un système radical et séduisant qui a fait ses petits. Beaucoup de nouvelles troupes d’acteurs travaillent collectivement et au plateau, souvent à partir d’improvisations.
Exigence artistique évidemment mais aussi nécessité matérielle conditionnée par la précarité de la création aujourd’hui, le travail des collectifs se fonde sur l’importance de penser le théâtre autrement qu’en terme de grandeur et d’efficacité. La recherche, l’expérimentation que proposent les nouvelles compagnies imposent de prendre son temps. Sylvain Creuzevault par exemple qui vient tout juste de présenter Le Capital de Karl Marx au nouveau théâtre d’Angers n’avait rien créé depuis ses deux succès Notre terreur et Le Père tralalère présentés à la Colline en 2009.
L’ambition générale revendiquée par les artistes n’est plus l’envie de faire du beau et grand théâtre mais au contraire de se concentrer sur un théâtre nu, brut et débarrassé, essentialiste qui bouscule par son contenu esthétique et dramaturgique moderne, innovant mais simple, volontiers laid et chaotique, cultivant un aspect si ce n’est pauvre relativement humble mais où l’hybridation de la forme trouve toute sa place sur les plateaux dans la mesure où se chevauchent les styles, les genres, la transdisciplinarité et les nouvelles technologies.
Depuis sa création en 2002, le collectif Les Possédés, constitué de 9 comédiens, travaille sur des textes classiques et contemporains allant de Duras, Lagarce, Tchekhov, Dorst, à Mauvignier et constitue ainsi un répertoire propre à explorer les thèmes qui lui sont chers, les relations humaines, la famille, l’existence confuse et cahotée, et ce dans des formes contemporaines et dépouillées. La compagnie D’Ores et déjà de Sylvain Creuzevault fondée la même année a également commencé à travailler à partir d’œuvres d’auteurs dramatiques (Larry Tremblay, Bertold Brecht ou Mark Ravenhill et Mayenburg par exemple) avant de se défaire, peu à peu, de tout texte pré-existant aux répétitions et s’épanouir dans la recherche d’une écriture textuelle et scénique collective et fondée sur l’engagement individuel des acteurs.
Le théâtre mis à distance semble être un dénominateur commun de nombreux collectifs qui partagent le désir d’interroger et mettre à l’épreuve la théâtralité plutôt que de la célébrer, avec une bonne dose d’humour, de dérision et un certain goût prononcé pour le saccage en règle. Faire table rase du passé, malmener les mythologies théâtrales avec un ton iconoclaste et moqueur, c’est la marque de fabrique de la compagnie du Zerep (fondée en 1997) dans des spectacles comme Oncle Gourdin ou Enjambe Charles. Souvent comparés et pourtant peu comparables, les Chiens de Navarre produisent depuis 2005 un travail par bonheur tout aussi régressif et potache mais beaucoup moins désinvolte, plus écrit, plus pertinent car ne se limitant pas à la blague seule. Ancré dans le présent et les problématiques du monde contemporain, ils auscultent en profondeur les relations humaines, les failles de la civilisation déliquescente dans le cadre du travail comme dans la sphère intime.
Creuzevault, Macaigne, Rodolphe Dana, Deliquet, Meurisse, Perez et Boussiron, Gosselin, ont chacun un univers différent et sont les chefs de troupe importants aujourd’hui. Avec eux, le metteur en scène reste toujours une présence prépondérante mais son statut change et cela est novateur. Moins tyrannique et tout puissant, il est davantage un « arbitre » (c’est ainsi que se considère Jean-Christophe Meurisse des Chiens de Navarre), dont le rôle est de favoriser l’acteur responsable au sein d’une création collégiale. Beaucoup de choses fertiles naissent et se développent sur le plateau, à la faveur des séances de répétitions, ce qui confère à ce nouveau théâtre une impulsion, une intranquillité particulièrement stimulantes.
Les acteurs se présentent comme une communauté unie et responsable, rassemblée autour d’une vision commune, solide, cohérente au profit du contenu et du sens, raison pour laquelle bon nombre de jeunes compagnies perdurent à s’imposer en troupe, en clan, en bande pour rêver le théâtre d’aujourd’hui et de demain.