Quand je pense qu’on va vieillir ensemble, Les chiens de Navarre interrogent la société dans un éclat de rire
Private, private. Quand on entre dans la salle de la MAC Créteil on a les codes où on ne les a pas. Des comédiens enduits de faux sang jouent à la pétanque sur un plateau pensé comme une décharge. La parodie de Au moins j’aurai laissé un beau cadavre est là. Quand les trompettes de Maurice Jarre, celles qui marquent les trois coups des représentations dans la Cour d’Honneur d’Avignon retentissent, on comprend que nous sommes dans un jeu de dupes. Non, nous ne sommes pas à Avignon mais à Créteil, nous ne sommes pas en juillet 2011 dans le cloître des Carmes mais en février dans la petite salle du théâtre. Quand je pense qu’on va vieillir ensemble ne va parler que d’une chose : les faux semblants. C’est à hurler de rire, c’est construit et pertinent. Allez-y !
Des saynettes utilisent l’anadiplose, cette figure de style qui fait chanter aux enfants “trois petits chats, chapeau de paille…” Ici la comptine est plutôt trashy. Chaque mouvement est marqué par un orage qui gronde, la pluie ne tombe pas encore, mais le ciel est lourd. Que ce soit dans un concert en play back revisitant I’ve been loving you de Ike et Tina Turner, une formation, un casting, une balade dans la brume, une voiture où un couple qui se déchire ou dans un conte de fée lubrique, c’est la quête d’identité qui est la guest star du show.
On va nous proposer d’effacer “le marasme de notre vie” dans un plaisir moqueur. On connait bien la compagnie de Jean-Christophe Meurisse, on en aime sa liberté de ton associée à une rigueur dans le jeu et l’écriture. Les comédiens sont sans limite, clowns pathétiques conscients de leur humilité. Ils osent tout et arrivent à nous surprendre de façon spectaculaire. Ils remplissent tout l’espace de ce vaste plateau où le cadre vient se dessiner grâce à la lumière. Ils sont eux mêmes spectateurs, se posant en cercle, rarement face public. Du groupe va jaillir l’interrogation qui les taraude : comment accoucher de soi même ? Faut-il jouer à des jeux de rôle en devenant une princesse à la voix transformée amoureuse d’un lapin coquin ? Faut-il se laisser humilier en faisant des huit avec son bassin dans une proposition misogyne où on entendra l’incroyable “laboure l’espace avec tes ovaires ” lancé par une coach blonde à baffer.
Les gens, ça se casse a-t-on envie de dire à ces non-psys, non-formateurs, à ces rebouteux de la société actuelle. Alors, on rit aux éclats pour se défendre face aux n’importe quoi d’un conseiller en recrutement qui n’a pas inventé l’eau chaude, professant des idées idiotes aux pauvres assis là en rond regardant l’autre se faire humilier.
On rit car leur proposition est totalement foutraque. Cela fait longtemps que les Chiens de Navarre prouvent que la performance contemporaine peut faire (beaucoup rire). On les a connu profs de gym ou mangeurs de raclette dans un dîner où tout explose. A chaque fois; ils bousculent le quotidien en le détournant, en le surreprésentant. Ils s’amusent des stéréotypes, provoquent la caricature et dénoncent. Quand on arrête de rire en voyant comme dans un procédé d’anamorphose, un couple de chiens devenir amoureux, si humains dans un tendre corps à corps, on comprend que « Quand je pense qu’on va vieillir ensemble » est une fable sur nos failles humaines. Il vaut mieux en rire, sinon on va pleurer !
Visuel : Quand je pense qu’on va vieillir ensemble, Les Chiens de Navarre, crédit Philippe Lebruman