Théâtre
Les chiens de Navarre découpent la famille à la tronçonneuse (et ça fait du bien)

Les chiens de Navarre découpent la famille à la tronçonneuse (et ça fait du bien)

28 November 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Comme toujours, Jean-Christophe Meurisse et le collectif passent à table. Plus vulgaires, plus potaches et du coup, plus vrais que jamais. Tout le monde ne peut pas être orphelin est une parfaite représentation de tout ce qu’une famille peut avoir de maléfique.

La Grande Halle de la Villette est en fête. Normal, c’est Noël, et il y a pas mal d’invités car nous sommes installés en bi-face avec une vue plongeante sur l’appartement. Une cuisine ouverte, une table (toujours), un salon avec un BEAU sapin et une tête de cerf accrochée au papier peint fleuri. Voilà, c’est le cadre : dans un huis clos, un soir de Noël se répète. 

Une famille, toujours vêtue de la même façon, passe le 24 ensemble. Le récit se fait de façon a-chronologique, ce qui est une idée brillante. Cela permet de pointer les répétitions du carnage. Mêmes questions, mêmes rites, comme si le temps ne passait pas tant que la mort et la maladie, ou la tragédie, ne s’invitent pas.

“Vous nous abandonnez comme Jospin nous a abandonnés”

Chez les Chiens, le ridicule n’a jamais tué et la vulgarité encore moins. Sont convoquées toutes les pires blagues du monde. On n’est pas loin des Grosses têtes ni du Père noël est une ordure, et c’est ça, c’est exactement ça qu’il fallait faire, car oui, la famille c’est vulgaire. C’est le lieu des trahisons, des tromperies et de la concurrence. Qui n’a jamais eu la nausée pendant un dîner ? Ils surjouent tout, absolument tout, le joli comme l’horrible, avec un aplomb qui désarçonne. 

Les saynètes viennent toutes pointer le fameux “bagage” à traîner toute sa vie. Les cris fusent, les nerfs craquent. Et tout cela se fait entre 1973 et maintenant. Entre l’arrivée des enfants et de leurs conjoints (Charlotte Laemmel, Vincent Lécuyer, Hector Manuel, Judith Siboni, Alexandre Steiger) dans la vie de Lorella Cravotta et Olivier Saladin (oui, tout le monde joue en son prénom).

Disons le, après ça, on se sent compris et moins seul. Cette pièce est une véritable catharsis, et on se marre plus que dans Médée (qui s’invite à table !). En parlant icône, dès 1936, dans Les Complexes familiaux, Lacan énonce qu’il n’y a pas d’instinct familial naturel. Il dira également que ” le père est une métaphore”.

Tout le monde ne peut pas être orphelin au delà du rire interroge le fait de faire famille après 68, et aujourd’hui. Cette famille là est classique : un papa, une maman et trois enfants qui ont “fait leur vie”, comme on dit. C’est parce que cette famille est “normale” que la névrose, la transformation de chacun, une fois coincé à table, déborde de la sorte dans cette hystérie qui ne peut pas être calme.

C’est une bombe, un coup de frais qui fait du bien. La bande son de ce conte de Noël est tout ce qu’on aime, Œdipe chantant Tout doucement (oui, il y a aussi Œdipe sur scène … bref), l’accueil du public sur How deep is your love… Tout est parfait ici, dans ce massacre qui permet de rire du pire, encore et toujours plus fort. Ce Festen est un délice, une jubilation qui ne quitte jamais le sens du réel.

Jusqu’au 7 décembre à la Grande Halle, liste d’attente chaque jour sur place. Et il reste sérieusement de la place pour la suite de l’exploitation parisienne et en Île de France :

Du 18 au 20 décembre 2019 Nouvelle Scène Nationale de Cergy-Pontoise
Du 9 au 18 janvier 2020 à la MC93
Du 2 au 14 juin 2020 au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

Visuel: © Ph. Lebruman

Infos pratiques

Autodrome Linas-Montlhéry
BNF-Site François-Mitterrand
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Alexander Mora-Mir

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