
Fragments de marionnettes amoureuses
Du 4 au 7 août le festival Mima se déroulait à Mirepoix, et il a la particularité d’être l’un des rares du genre à s’accompagner d’un Off. On peut y découvrir des propositions parfaitement qualitatives, tel ce Histoires d’A de la compagnie Liquidambar. Un spectacle de marionnettes qui mêle habilement les techniques, au service d’un propos tendre et facétieux soutenu par une touche de poésie et un regard très juste sur l’humain.
Le public est comme placé face à un mur de visages. Il y a ça et là quelques cadres évidés, mais globalement on est face à des planches auxquelles sont fixées des masques, qui sont autant de têtes de marionnettes, autant d’histoires en puissance qui attendent de s’animer et de se raconter. Autant d’Histoires d’A.
Car il s’agit de cela : cette étrange collection d’êtres épinglés tels des papillons sont les protagonistes d’histoires d’amour, qui, en général, ne finissent pas si mal, même si on compte parmi elles des ruptures, des abandons, un monsieur qui traîne sa profonde solitude comme un boulet. C’est un loto auquel tout le monde n’est pas gagnant, un effort que tout le monde ne consent pas, une histoire qui n’est pas si universelle que les contes de fées voudraient nous le faire avaler.
Pour faire ressortir ces trajectoires individuelles et recueillir autant d’anecdotes pour composer par touches le portrait de cet Amour élusif et protéiforme, la marionnettiste se fait animatrice d’émission de radio, où chaque marionnette se voit donner la parole. Chacune son tour prend ce rôle de la personne qui se raconte au téléphone… en même temps qu’elle est évidemment à vue, en qu’on aura rarement regardé avec autant d’attention une émission radiophonique ! La convention réussit cependant parfaitement bien, et le public y adhère sans aucun problème.
C’est, sur le fond, une entreprise de démystification par l’exemple : il y a mille manière de tomber en amour comme il y a mille manières de tomber en désamour. Le sentiment univoque, monolithique, idéalisé, fantasmé, dont les Disney Studios et consorts ont fait (une partie de) leur fond de commerce n’existe pas : il y a autant de relations amoureuses que de gens qui les vivent. C’est amené avec finesse, beaucoup d’humour, et une grande tendresse pour les personnages qui n’est jamais qu’une grande tendresse pour l’humanité. Et, comme toujours dans les créations de la compagnie Liquidambar (voir notre critique de Des paniers pour les sourds), c’est également très poétique, avec de belles envolées lyriques, des personnages touchants, ce qu’il faut de fantasque et de fantastique pour que tous les possibles s’agitent et que l’imagination se réveille.
Sur la forme, il y a évidemment un plaisir à voir chaque marionnette prendre vie l’une après l’autre, avec à chaque fois une sorte de délectation enfantine à l’attente de l’animation suivante, l’impatience du déballage des cadeaux de Noël où le moment le plus délicieux pour l’enfant est possiblement celui où il arrache le papier cadeau pour découvrir la surprise. Il ne faut pas être réducteur et cantonner l’intérêt formel du spectacle à ce simple effet d’attente : Aurore Cailleret n’est pas une débutante, et ses manipulations sont justes, économes, ce qui ne les empêche pas d’être parfois inspirées. Chaque marionnette a sa forme, sa technique, sa gestuelle, et également sa voix. L’interprète est bonne comédienne, et elle glisse avec aisance d’un personnage à l’autre, se dédouble sans problème quand il le faut, bascule entre son rôle de narratrice-animatrice et l’incarnation des personnages avec la précision due à l’expérience.
Cette forme courte, qui ne manque ni d’intelligence ni de cœur, a nettement mérité la rumeur qui bruissait dans les allées du Off et la recommandait. Reste à espérer que ce très joli spectacle ait accroché l’œil de quelques programmateurs et programmatrices, et qu’il lui soit offert de rencontrer beaucoup de spectateurs et de spectatrices.
GENERIQUE
Conception, mise en scène et jeu : Aurore Cailleret
Fabrication des marionnetes : Lolita Barozzi et Aurore Cailleret