Marionnette
“Mutatis Mutandis !” ferme le festival de Casteliers avec une fresque sous-marine en demie-teinte

“Mutatis Mutandis !” ferme le festival de Casteliers avec une fresque sous-marine en demie-teinte

06 March 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

Au cinquième et dernier jour du festival de Casteliers de Montréal, le spectacle de clôture a réuni une pleine salle dans le Théâtre Outremont. Mutatis Mutandis ! de Laurence Petitpas, une proposition marionnettique pleine de promesses puisqu’il s’agit de partir des abysses océaniques pour construire un univers visuel et sonore déroutant. Malgré la beauté des images et le travail soigneux du son, l’ensemble s’avère un peu pauvre, la recherche délibérée d’une absence de dramaturgie n’arrive pas à tenir la route sur 50 minutes.

Ce ne sera pas le premier spectacle à utiliser la marionnette ou le théâtre noir pour figurer un univers marin – on se souvient que 20 000 lieus sous les mers avait fait forte impression à la Comédie Française – mais cela démontre la pertinence du dispositif pour s’attaquer à cette matière. Aussi le fait que Mutatis Mutandis ! utilise ces artifices pour révéler la vérité poétique de son sujet semble de prime abord une bonne idée.

De fait, la première image est instantanément intéressante : un personnage au genre indéterminé se tient sur scène dès l’entrée du public, chichement éclairé au centre d’une scène qui est sinon envahie de ténèbres, la tête prise dans une sorte de sphère faite de fils entrecroisés. Quand le spectacle débute, cette sorte de cage sphérique s’avère capable de dilatation et de rétractation, ce qui permet de figurer la respiration d’un scaphandrier, peut-être aussi l’écrasement dû à la pression phénoménale qui s’exerce dans les abysses. L’image, à mi-chemin entre réel et imaginaire, portrait naturaliste et évocation poétique, constitue un très bon point de départ.

On croisera par la suite quelques rares habitants des abysses : baudroie, méduse, ver, ils sont généralement beaux, souvent relevés de vives couleurs, animés de mouvements sinueux très bien rendus, mais la rencontre avec l’humain.e qui visite leur domaine se fait toujours dans une extrême lenteur, la prise de contact qui pourrait être intéressante, la juxtaposition et même la confusion des corps n’aboutit sur rien : pas de révélation, pas de malaise, pas de symbiose, on reste sur des anecdotes d’où le rapport est finalement absent. On salue la beauté de certaines de images, mais cela ne se suffit pas en soi-même pour faire une proposition scénique complète.

Côté son, un travail assez considérable de bruitage en direct a été fait, avec une table réservée à cet effet placée à jardin sur la scène. Vincent Thériault y manipule diverses matières devant son micro ou dans l’aquarium qui est disposé devant lui. Tout aussi bien, il se retrouve parfois en jeu : qu’il fasse sa vaisselle ou qu’il se rince la bouche après s’être brossé les dents, tout cela finit dans l’aquarium. On devine une métaphore du traitement de la mer par les humains, qui l’utilisent depuis des générations comme une poubelle en même temps qu’une ressource à exploiter… L’idée de creuser cette piste aurait pu être excellente, et cela aurait donné un propos au spectacle ; mais au final seuls ces deux gestes sont esquissés, et ne vont pas plus loin, et on est donc, là aussi, un peu trop court pour que quoi que ce soit en résulte.

Le parti-pris est davantage celui de la fascination pour les abysses, de la découverte de faits scientifiques étonnants. On en veut pour preuve la voix off qui retentit à plusieurs reprises, et articule doctement quelques vérités sur les mondes des profondeurs : reproduction de la baudroie, inversion du processus de sénescence cellulaire chez certaines méduses… Cependant, ce qui est raconté ne trouve pas forcément d’écho avec ce qui se passe sur scène, même métaphoriquement, et ces séquences, délivrées d’une voix très égale et d’une longueur parfois excessive, ne suscitent pas, finalement, la fascination chez les membres du public.

De ce spectacle qui tente l’aventure de la déconstruction post-narrative, on retient de très beau tableaux qui jouent sur la juxtaposition de l’humain et du non-humain, de la matière vivante et de la matière inerte, ainsi qu’une attention particulière au son qui réussit à bien mettre en valeur certaines scènes.

GENERIQUE

Idéation et direction artistique : Laurence Petitpas
Interprétation : Vincent Thériault, Joanie Fortin et Laurence Petitpas
Collaboration participative étonnante : Marcelle Hudon et Josiane Lamoureux
Conception et bricolage sonore : Vincent Thériault
Musique : Vincent Thériault, Jocelyn Robert, Yana Ouellet, René Lussier, Martin Tétreault, Miquèu et Baltazar Montanaro
Scénographie et marionnettes : Laurence Petitpas
Collaboration aux costumes : Sylvie Baillargeon
Lumière et assistance technique : Mathieu C. Bernard
Textes : Laurence Petitpas, d’après Claire Nouvian

Photo : (c) Shoaib Shabir

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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