
« Ca ira » à l’Apostrophe : un flot de paroles à écouter et à vivre
A la Scène Nationale de Cergy-Pontoise, le spectacle événement de Joël Pommerat a déployé ses qualités : ses procédés sobres, et ses comédiens éblouissants, qui nous ont permis d’écouter et de recevoir, de façon vivante, durant près de quatre heures, les débats ayant agité la France au début de la Révolution.
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Ça ira commence fort : sans qu’aucune date soit énoncée, on voit un roi et son Premier Ministre en costumes d’aujourd’hui (remarquables Yvain Juillard et Yannick Choirat) s’adresser à nous, annonçant que leur pays traverse une crise économique insoluble. Ce pays, on l’entendra bientôt, c’est la France. On sent que ce nouveau récit conté par Joël Pommerat va parler de nos temps actuels, tout en se référant à la Révolution française, sans effets de reconstitution.
Au long des trois heures cinquante, on va voir naître notre démocratie. La mise en scène nous promènera entre séances d’assemblée où la parole sera abondante – et le public inclus, par un jeu de placement des comédiens – et passages mélancoliques, toujours très justes, annonçant la fin du règne de notre roi. Après le premier entracte, on assistera ainsi à une très longue suite d’interventions à l’Assemblée Nationale, nouvellement créée. La parole est au centre de ce spectacle, elle occupe tout l’espace, toute l’action, mais, portée comme elle est, on a envie de l’écouter.
Le naturel des comédiens éblouit, qu’il s’agisse de Maxime Tshibangu, splendidement juste lorsqu’il annonce l’arrivée du roi tel un chauffeur de salle, de David Sighicelli, qui passionne dans le rôle du député Gigart, de Saadia Bentaïeb ou Ruth Olaizola, intenses plaideuses aux idées tranchées… On pourrait en citer bien d’autres. Parfois, les paroles dites apparaissent trop profondément inscrites dans un temps historique précis, au contexte tout de même différent sur le plan social. Mais les personnages, forts, et peints avec pas mal d’ouverture et d’humanité, savent nous accrocher. Jusqu’à une dernière scène assez prophétique…
Quelques procédés de distanciation discrets, se glissent, et convainquent : on aime que, dans la seconde partie, le roi arrive sur la place de l’Hôtel de Ville sur une musique célèbre du groupe Europe. Surtout, la sobriété des moyens employés par Joël Pommerat pour figurer les situations laisse la place au rêve : les échanges politiques se déroulent dans une salle figurée très simplement, parfois cernée par des explosions, des cris… La parole a ainsi toute la place pour se déployer. Elle constitue le premier intérêt du spectacle : inviter à écouter en abondance les débats d’hier, pour penser à aujourd’hui, et au futur. A suivre, très bientôt.
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Ca ira est en tournée dans toute la France. Les dates à venir du spectacle sont visibles ici.
Visuel : © Compagnie Louis Brouillard / Théâtre des Amandiers