Opéra
La reprise de l’inondation à l’Opéra-Comique : un drame toujours poignant

La reprise de l’inondation à l’Opéra-Comique : un drame toujours poignant

02 March 2023 | PAR Victoria Okada

Créée en 2019 à l’Opéra-Comique, L’inondation de Francesco Filidei et de Joël Pommerat revient à la salle Favart. Née d’un long temps de gestation expérimentale, l’œuvre, d’après une nouvelle de l’écrivain russe Evgueni Zamiatine (1884-1937), aboutit à l’un des plus poignants des opéras de notre temps.

Dès le début, les notes et des accords prolongés viennent habiter nos oreilles. Tels des grondements de la terre et de la mer, ces sons sombres et inquiétants traversent la grande partie de l’opéra. L’atmosphère, sinistre et angoissante, est accentuée par les éléments de la nature ; souffles de vent, gazouillement d’oiseaux, bourdonnement des eaux et autres « bruits » viennent renforcer le sentiment oppressant. Quant aux personnages, ils « parlent » sans inflexion et la monotonie devient de plus en plus pesante. Francesco Filidei intensifie le malaise qui existe dans les relations humaines par une écriture étrange de la voix, une sorte de Sprechgesang dans une tessiture réduite propre à chaque personnage. Puis, avec l’arrivée des eaux, la rupture. Une déferlante de notes se libère alors, de manière apparemment chaotique, mais en réalité savamment organisée. La scène de folie, la plus mouvementée de la partition, s’inscrit de toute évidence dans la longue lignée de la tradition opératique — tout comme le chœur à la grecque remplacé par le seul Narrateur — et offre l’impressionnant apogée de l’œuvre. Là, Filidei sait explorer toute la force dramatique pour nous capturer dans cet univers singulier.

Cette musique ne peut être séparée du livret et de la mise en scène de Joël Pommerat, qui situe le drame au milieu du 20e siècle. À travers la mise en parallèle de deux familles contrastées dans deux appartements similaires superposés dans un banal HLM (décors d’Éric Soyer), Pommerat montre, de manière crue, le paradoxe de la vie humaine avec toutes ses complexités. Avec ces événements déchirants dans une consternante quotidienneté, il est difficile de ne pas penser alors aux actualités et la douleur de ceux et celle qui les vivent. L’universalité et l’atemporalité des propos sont, elles-mêmes, accablantes et renforcées par une banalité non théâtralisée. Voici un autre paradoxe, magnifiquement rendu par l’homme du théâtre.

Lors de la création, les rôles ont été taillés sur mesure, mais quelques changements dans la distribution dans cette reprise n’affaiblissent pas la force du drame. Dans le rôle de La Femme, Chloé Briot se distingue notamment par sa capacité d’adaptation vocale. C’est d’abord une femme fatiguée par la vie, qui semble avoir abandonné toute sorte de motivation ; elle l’exprime dans un médium sobre et riche, mais retenu, puis vient, par des aigus éclatants, l’explosion de ses émotions et l’aveu dans la folie. À ses côtés, Jean-Christophe Lanièce ajuste subtilement sa voix chaude de baryton pour incarner L’Homme froid. À la fin de l’œuvre, cette froideur se transforme en une résignation ou en une impuissance sans qu’il perde cette autorité qui transparaît dans son timbre. En couple de voisins, Victoire Bunel et Enguerrand de Hys offrent un duo vocal attachant par la combinaison de leur voix grave / légère et intense / lumineuse. Guilhem Terrail alias le Narrateur et le Policier, Tomislav Lavoie Le Médecin et Norma Nahoun La Jeune Fille (doublée de la comédienne Pauline Huriet) marquent chacun et chacune par leur présence juste et investie, ainsi que les deux enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique.

L’Orchestre de chambre du Luxembourg déploie son excellente section de percussion sous la direction avisée de Leonhard Garms, alors que les vents et les cordes créent une fascinante « atmosphère de fond » qui font de cet opéra un véritable chef-d’œuvre de notre temps.

Représentation du 27 février 2023

Visuels : © Stefan Brion

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Victoria Okada

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