« Artiste de complément » au théâtre de l’Essaïon
Dans un seul en scène cocasse et névrosé, Jacques Dupont incarne un figurant à l’esprit ravagé et à l’idolâtrie démesurée. Un thriller psychologique où l’amour passionnel s’incarne dans une adulation dévorante et une perte désespérée de l’identité.
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Sur un ton à la fois drôle et décalé, un figurant de cinéma nous raconte ses tournages avec Michael C., un acteur célèbre et arrogant dont il voue une passion incommensurable. Photos, articles de presse ou encore interviews : il collectionne tout ce qui touche de près ou de loin à son idole, et s’est mis en tête de ne tourner que dans ses films. Mais cet artiste de complément ne va pas rester longtemps dans l’ombre de l’acteur, et sa rencontre avec la mère de Michael C. va concrétiser son désir de s’en rapprocher, le posséder, et ensemble ils iront jusqu’à commettre l’irréparable.
« Le plus important quand on aime ce n’est pas de le dire, c’est de le montrer ». Tirés de la dernière interview de Michael C., ces mots aux allures proverbiales résument parfaitement la psychologie torturée de l’artiste de complément : adorateur transi, il casse les barrières de la figuration pour entrer dans l’intimité même de son idole. Tour à tour, Jacques Dupont incarne un figurant déséquilibré, un acteur présomptueux ou encore une vieille femme esseulée, sans jamais perdre le fil de ces multiples discours. En tout, ce ne sont pas moins de huit personnages qui défilent sous nos yeux, avec une prodigieuse fluidité qui révèle le talent incontestable du comédien. Des voix, des expressions et des attitudes hybrides se mêlent sur cette scène dépouillée, où l’identité du figurant se retrouve peu à peu dévorée par celle de son idole.
D’abord ancré dans une simple idolâtrie de groupie, cet artiste de complément en vient à s’approprier les mots puis l’expérience de vie de Michael C. : un malaise identitaire qui l’entraîne dans une névrose de plus en plus violente et obsessionnelle. Les touches d’humour, largement prépondérantes tout au long du spectacle, laissent volontiers place à d’angoissants revirements émotionnels. Haletantes, ces situations s’insèrent dans des jeux de lumière maîtrisés, qui font saillir la psychose plus ou moins consciente du personnage. Et c’est précisément dans ces scènes de démence – encore trop peu nombreuses – que s’illustre la virtuosité de Jacques Dupont. Une interprétation poignante et fantasque, que le comédien adoucit presque trop rapidement par l’humour. Glaçant, c’est finalement dans le dénouement que se mêlent les différents sentiments de la salle, tiraillée entre le rire et l’effroi, mais largement conquise par la prestation de cet artiste de complément.
Artiste de complément, mis en scène par Damien Bricoteaux, au théâtre de l’Essaïon jusqu’au 13 janvier 2015, les lundis et mardis à 20h.
Visuels : Tous droits réservés par Pascal Zelcer / © Florent Barnaud