Stitchomythia, partition performative à Beaubourg
La harpiste de haute volée, Zeena Parkins, se produisant tout aussi bien avec la Merce Cunningham Company qu’à la Tate Modern ou au Whitney Museum a été invitée par la chorégraphe Nadia Lauro à collaborer autour d’une pièce performative. Présentée au Centre Pompidou, Stitchomythia a pu surprendre le public par son côté énigmatique, tout aussi bien qu’elle a pu l’emmener très loin dans l’exploration de l’imaginaire.
Sur le plateau, un “tapis anamorphique” se déploie. Noir sur blanc, dentelle froissée dessinée sur fond lisse, comme surgie du néant de la création. Zeena Parkins, pionnière de la harpe contemporaine, déroule devant son auditoire l’étendue de son répertoire. Alliant morceaux de musique électro-acoustique de sa composition à un jeu exploratoire de l’instrument, elle surprend. Tantôt, elle fait sonner sa harpe comme une contrebasse, tantôt comme un clavier électro ou bien encore comme un ensemble de percussions. Occupant le devant de la scène, c’est elle qui semble faire surgir de par la magie des sons produits les tableaux qui vont se dérouler sous nos yeux.
À la suite d’un long préambule onirique qui nous plonge dans une atmosphère recueillie, émergent de la cage de scène les trois performeurs choisis par la scénographe plasticienne Nadia Lauro : Latifa Laâbissi avec qui elle a collaboré à plusieurs reprises, Volmir Cordeiro, interprète pour Lia Rodrigues ou bien Vera Mantero et le Canadien Stephen Thompson, ancien patineur artistique de haut niveau. Tous trois adoptent une gestuelle animale, sur fond de bruits composites, qui parfois font penser à ceux d’une canopée. Zeena Parkins les lance à intervalles réguliers depuis son ordinateur couronné de pampilles, donnant à ce dernier de faux airs de tambour d’Indien des Plaines. Technologie et inspiration de la forêt primaire semblent s’accorder pour Stitchomythia.
Latifa Laâbissi tourne autour de l’instrument de Zeena Parkins qui tient toujours lors de ses représentations à être sur scène aux côtés des danseurs. La danseuse se saisit d’impalpables cymbales, ou bien de maillets de tambours, bien réels cette fois. Elle déambule, inquiétante et étrange, adoptant une démarche simiesque. Ici le non-humain est la texture même du rêve. Se déployant depuis le lointain, fond de scène ici entièrement noir, les silhouettes des performeurs tout en noir également incarnent des personnages liminaires, naviguant entre plusieurs réalités. Ils paraissent jouer le rôle de mystérieux passeurs entre le monde des vivants et celui des morts.
Volmir Cordeiro, pour sa part, se rattache plus à l’ordre des volatiles… Drôle d’oiseau, il fait parade de ses sauts de l’ange, recréant des diagonales de danseur classique libéré des contraintes de la forme exécutée. Non sans humour, Stephen Thompson joue quant à lui la partition d’un batracien gracieux et enjôleur. La succession de solos permet à chacun des performeurs d’affirmer sa gestuelle singulière. Ils donnent vie à d’étranges créatures qui nous interrogent sur notre propre humanité et sur la part d’étrangeté qu’elle peut tout aussi bien contenir. Stitchomythia est une très belle pièce de 50 minutes, exigeante, mais qui fait voyager le spectateur hors des sentiers battus pourvu qu’il se prête au jeu du tissage de l’imaginaire.
Crédit photographique : © Nadia Lauro