
Furia, la danse vaudou de Lia Rodrigues déflagre sur Chaillot
La chorégraphe brésilienne est installée au cœur d’une favela de Rio. Elle y a installé un centre d’art comme réaction, efficace, à l’état du monde. Les corps vivants comme réponse universelle à la violence du monde semblent être les fils conducteurs de ce spectacle insensé
Pendant une heure dix nous allons voir défiler des tableaux plus fous les uns que les autres dans un fondu parfaitement enchaîné et sous fond d’un chant kanak obsédant et très très rapide .
Neuf danseurs caméléons sont tour à tour des bêtes étranges, des animaux sortis d’un bestiaire qui a tout de nos références médiévales occidentales et qui pourtant ici nous emmènent ailleurs. Et le fait d’être un peu Lost in translation est le grand apport de ce spectacle qui nous mène par le bout du nez. On n’y voit des danseurs hors-pair qui sont autant comédiens que maîtres de leur mouvement.
Peut-être faut-il un peu décrire pour comprendre. Imaginez : une reine antique assise sur un attelage qui est composé d’hommes à quatre pattes… et qui avancent. Des femmes totalement voilées mais aux jambes chaussées d’escarpins. Imaginez qu’un bourreau vous parle dans une langue que vous ne comprenez pas. C’est insensé.
Lia Rodrigues est artiste associée à Chaillot et au Centquatre. Son travail est soutenu par la fondation Hermès. Son parcours est très impressionnant. Au-delà de ses qualités d’interprète notamment chez Maguy Marin, elle a fondé en 2004 un centre d’art au cœur de la favela de Maré, qui accueille 300 élèves et comporte également une formation professionnelle. Elle a réussi à faire dialoguer un projet d’art contemporain avec un projet social.
Dans ce cri qu’est Furia, ce que l’on comprend c’est qu’elle n’est pas étonnée de ce qui arrive au Brésil. Le pire est installé depuis longtemps et, elle le dira de façon très pragmatique : « cela fait trois ans que nous ne recevons pas d’argent public » . L’abandon de la culture de date pas des dernières élections.
Ici, des corps sont traînés et reviennent d’entre les morts. Elle dénonce les crimes massifs de noirs et d’homosexuels au Brésil. Chaque 20 minutes un homme noir est assassiné au Brésil. Alors il y a là une décharge permanente, des arrêts sur image d’une autre dimension.
L’écriture ne permet aucune rature dans cette pièce violente et ciselée à la tension extrême. On trouve ici l’engagement au plateau qui caractérise les plus grands chorégraphes. Leonardo Nunes, Felipe Vian, Clara Cavalcanti, Carolina Repetto, Valentina Fittipaldi, Andrey Silva, Karoll Silva, Larissa Lima et Ricardo Xavier déploient une puissance de jeu qui témoigne d’une exigence et d’une sincérité qui ne cherchent pas à illustrer un propos mais plutôt à l’incarner.
Furia est une bombe qui explose en vous et pour longtemps, à voir d’urgence avant le 7 décembre à Chaillot, ou, toujours au Festival d’Automne, au CENTQUATRE, du 12 au 15 décembre.
Visuel : Furia © Sammi Landweer
Informations pratiques
Jeudi 6 et vendredi 7 à 19H45 au Théâtre National de Chaillot, de 8€ à 37€