
Eleanor Bauer, sculpture vivante à Lafayette Anticipations
Dans le cadre de la première édition du festival Échelle Humaine, l’Américaine Eleanor Bauer a eu carte blanche pour investir l’espace de la Fondation Lafayette Anticipations, le temps d’une performance d’une heure. Accompagnée d’un quatuor de clarinettistes, elle a délicatement fait vibrer la “tour d’exposition” d’une poésie intrigante.
Eleanor Bauer, que l’on a pu voir en tant qu’interprète dans les pièces de Boris Charmatz, de Xavier Le Roy ou Trisha Brown s’affirme désormais comme chorégraphe. Sa dernière création, un solo, a tout naturellement pris sa place dans la programmation du Festival d’Automne. Ayant déjà travaillé en collaboration avec des artistes visuels tels que Matthew Barney ou Emily Roysdon, Eleanor Bauer propose avec A Lot of Moving Parts une pièce très esthétique, très écrite, dont chaque geste est pensé comme trace visuelle dans l’espace. Il faut dire qu’elle s’adresse à un public féru d’art contemporain, qui ne se laisse pas désarçonner par le rythme de progression de la danseuse-chorégraphe… Ce solo aurait d’ailleurs toute sa place dans notre nouveau dossier Lenteur !
Conçu sur un adagio formé par une seule note tenue pendant toute la durée du spectacle, il s’étire volontairement dans l’espace avec une retenue et une maîtrise qui nous rappelle que nous sommes bien face à une performance, qui interroge, déstabilise, – éprouve même peut-être –, et non pas face à un spectacle de danse “classique”. Nous pouvons au passage saluer le talent des quatre jeunes musiciens, d’abord seuls à être présents au milieu de la scène, au tout début, et se déplaçant ensuite autour des spectateurs, sans perdre un instant le souffle de l’unique note jouée. Une performance en soi ! Le public, recueilli, suivait les déplacements de la danseuse avec attention. Parfois, il se mettait en mouvement pour mieux suivre ce qui se passait dans le carré central, formant lui-même un corps de ballet tout à fait en accord avec le mouvement de la performance. Les spectateurs pouvaient presque avoir le sentiment de participer à une méditation collective, tant la qualité d’attention était palpable.
Avec A Lot of Moving Parts, Eleanor Bauer est parvenue à donner au bâtiment réhabilité par Rem Koolhaas une dimension intemporelle, presque classique. Elle a comme dévoilé l’aspect grandiose, solennel, et en même temps éminemment moderne du lieu, – l’un des principaux mérites d’Échelle Humaine étant peut-être de révéler la beauté brute de l’édifice en lui-même en l’habitant, au crépuscule de corps mouvants. Vêtue d’une simple tunique couleur chair, Eleanor Bauer se mouvait telle une statue grecque vivante. Faisant appel à un classicisme et un goût de l’Antique tout comme l’illustre figure d’Isadora Duncan, elle prenait des poses à la fois d’une grande poésie aussi bien que grotesques, son répertoire empruntant de temps à autre à celui du mime. À la fin de la performance, un livre-objet en mousse, réduit à l’état de signifiant visuel pur, est refermé. Eleanor Bauer s’assied en statue hiératique, divinité égyptienne énigmatique. Une dernière mimique nous rappelle sa volonté de créer un langage visuel fort, un espace créé par le geste où tout peu se dire, du grotesque au sublime, sans paroles. L’inscription de son corps et des formes en mousse utilisées dans l’espace rejoint la volonté du théoricien russe Meyerhold de faire du spectacle vivant un tableau qui se déplie sous nos yeux, et où chaque mouvement doit être aussi précis que le coup de pinceau d’un miniaturiste.
Festival Échelle Humaine du 15 au 23 septembre
Lafayette Anticipations
– Fondation d’entreprise Galeries Lafayette
9 rue du Plâtre (Paris, 4è)
Toutes les informations ici.
Visuel : ©Eleanor Bauer