Opéra
Un trouvère qui sonne le retour du grand Verdi à Paris

Un trouvère qui sonne le retour du grand Verdi à Paris

23 January 2023 | PAR Paul Fourier

La production d’Alex Ollé est reprise à l’Opéra Bastille. Carlo Rizzi excelle en fosse et la belle homogénéité qui règne sur le plateau rend hommage au chef-d’œuvre de Verdi.

Toscanini pensait que pour monter avec succès Il trovatore, « il suffisait » d’avoir les quatre plus grands chanteurs du monde. Outre le fait que l’affirmation (involontairement comique ?) disqualifierait de facto la plupart des représentations, il est aussi légitime de la considérer réductrice. Le trouvère exige, en effet, un grand chef verdien qui ait à cœur de faire briller la partition dans ses multiples détails et ses nombreux moments de bravoure, et un quatuor avant tout équilibré, puisque les duos occupent la majeure partie de l’action. Pour cette nouvelle série à l’Opéra Bastille, l’on peut considérer que ces deux qualités ont bien été présentes.

Il trovatore, l’un des bijoux – avec Rigoletto et La Traviata – de la « trilogie populaire » (et enchantée) de Verdi du début des années 1850, garde sur le public un fort pouvoir d’attraction. Cela nous rappelle, opportunément, qu’avant d’être supplanté par Faust, l’opéra de Verdi fut le plus populaire de son temps ; l’on reste, néanmoins, agréablement surpris de constater que la plupart des représentations à venir, jusqu’à la mi-février, affichent quasiment complet.
Ce n’est pourtant ni la vraisemblance de l’histoire, ni la mise en scène d’Alex Ollédont il n’y a plus guère à dire, tant elle semble devenir de plus en plus transparente avec le temps – qui garantissent cet intérêt du public.
Ce qui fait la force du Trouvère, c’est une forme de quintessence de l’opéra italien, portée par l’excellence de la musique de Verdi. Non seulement, il n’y a place pour aucun temps mort, mais chaque morceau, air, duo ou quatuor, paraît comme avoir été saisi par la grâce et par une puissance où les situations – parfois absurdes – sont, de fait, transcendées par la force de la musique ; c’est dire si la charge qui repose sur les épaules du chef, des solistes et des choristes (comme toujours fabuleusement sollicités chez Verdi) est conséquente.

Un Comte élégant, une gitane de bronze, un ténor héroïque et une Leonora au strict service de Verdi…

Depuis quelques années (voir le récent Hérodiade), Étienne Dupuis ne cesse de nous surprendre en osant aborder des rôles de plus en plus hardis ; en osant… et en réussissant !
Le Comte de Luna est l’un de ces personnages mûs par la vengeance ; un être libidineux en qui il est difficile de trouver quelle part d’humanité pourrait parvenir à en contrebalancer sa face odieuse. Pourtant, ce qui fait de Dupuis le chanteur le plus étonnant de cette reprise, c’est qu’il réussit à insuffler à Luna une part de distinction, voire d’ambiguïté… qui nous conduirait presque à nous demander pourquoi Leonora ne cède pas à ses abjectes avances…
Au-delà de la plaisanterie, le baryton, en se servant de ses qualités vocales et d’un très beau legato associée à une présence ravageuse, voire à une séduction équivoque du personnage, donne à Luna une profondeur tout à fait inattendue. Du reste, son air « Il balen del suo sorriso… » sera l’un des grands moments de la soirée.

Ici même, le mois dernier, Anna Pirozzi faisait des débuts fracassants à l’Opéra de Paris dans La forza del destino. Ce mois-ci, c’est sa collègue, Judit Kutasi, qui introduit avec succès, son Azucena sur la grande scène. Le rôle de la gitane est lourd ; après une partie entière du second acte qui repose sur ses épaules, elle doit également assurer deux duos, l’un avec le Comte, l’autre avec son fils en toute fin d’opéra, en nous conduisant dans les profondeurs d’une histoire monstrueuse, celle qui peint une mère aux couleurs de la sorcellerie. Il faut donc de l’endurance, il faut, la plupart du temps, des graves et parfois aussi, des aigus tranchants. Kutasi possède tout cela et, à la mesure des applaudissements reçus, aura réussi son arrivée dans la grande maison.

Qui peut chanter Manrico en ce moment ? Certes, Vittorio Grigolo vient de faire une entrée en fanfare dans ce rôle à Barcelone… en trichant tout de même un peu. Certes, on attend également, avec impatience, que Jonathan Tetelman s’en saisisse. Mais, aujourd’hui, l’un des rares à pouvoir assurer, sans dommages – mais avec quelques écarts -, les passions primaires du personnage et cette « Quelle pira » qui rend fou plus d’un ténor… c’est Yusif Eyvazov. Certes, le timbre n’est pas toujours des plus séduisants, mais la présence en scène s’est affirmée avec le temps, une présence et un engagement dont il se sert pour insuffler une énergie digne de ce « trouvère » qui fut un peu taillé à la serpe par Verdi et Cammarano, son librettiste. Son « Ah si, ben mio », baigné d’élégance, fut suivi d’une « Quella pira » tendue à l’extrême et d’une vivacité insolente, avec un contre-ut percutant et longuement tenu.

En cette première, Anna Pirozzi, après son autre Leonora (de La forza), démontre qu’elle détient cette capacité de se mettre au service d’un compositeur et Verdi est, probablement, celui qui occupe le plus de place dans son cœur. La chanteuse fait preuve de cette intégrité qui donne l’impression que l’on peut suivre, note après note, chacune des lignes de la partition écrite par le compositeur. Il ne s’agit point de chant spectaculaire, d’un chant qui « en mettrait plein les oreilles » à coups d’effets percutants ; au contraire, c’est là une absolue fidélité à Verdi, une Leonora qui s’appuie sur un médium riche, possède de beaux graves et remet l’héroïne dans sa filiation belcantiste, voire bellinienne.
Le trac, perceptible en cette première (et, alors – rappelons-le – qu’une soprano a, tout de même, été sifflée trois jours auparavant sur cette même scène !), l’a probablement conduite à être prudente et à ne se démarquer que tardivement de la baguette du chef. Ainsi le « Tacea la notte placida » et le « D’amor sull’ali rosee », s’ils furent tous deux très beaux, ont surtout été suivis, comme si la soprano s’était enfin libérée, d’un « miserere » somptueux annonçant une fin d’opéra qui a atteint des sommets. Rassurée que put être Pirozzi par l’accueil du public, il reste maintenant à espérer qu’elle va se départir de cette raideur perceptible en scène lors des prochaines représentations

Roberto Tagliavini, à qui échoit la tâche de commencer l’opéra, fait preuve de sa noblesse habituelle et déroule ainsi un récit d’ouverture aussi racé que va l’être la démonstration à venir de son maître, le Comte de Luna ; Marie-Andrée Bouchard-Lesieur elle, campe une servante qui ne dépare jamais à côté du soprano voluptueux d’Anna Pirozzi.
Quant à Samy Camps qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris, en quelques mesures, il réussit à nous accrocher l’oreille et nous donne envie de le revoir bien vite, dans un rôle plus conséquent.

Il Trovatore est probablement l’un des opéras de Verdi (qui disons-le est un (voire « le ») maître en la matière !) qui affiche le plus fièrement la qualité de ses passages choraux. Et, une fois de plus, la formation de l’Opéra de Paris, dirigée cette fois-ci par Alessandro Di Stefano, fait preuve de toute la puissance que requièrent tant la scène des Tsiganes que celle des hommes en armes.
Mais, bien sûr, que serait cette puissance exposée sans un chef capable de porter bien haut la musique du grand Giuseppe ?

Car, Carlo Rizzi connaît son Verdi par cœur et sait rappeler qu’Il trovatore est un opéra de passion violente, de beaucoup d’affrontements, mais aussi, de moments élégiaques quand l’amour essaye de se frayer un chemin dans le tumulte.

Il sait faire ralentir la machine, parfois même à l’extrême, dans les instants d’introspection ; il sait, subitement, accélérer les tempi quand la tension entre les personnages se fait débordante ; il sait faire ronfler l’orchestre de l’Opéra de Paris et ses cuivres, lorsqu’il faut se souvenir que l’attrait de cette musique repose sur un plaisir quasi primaire, sur une perfection que l’on peut qualifier de « brutalité enchanteresse » qui secoue bien plus le corps que l’esprit.

L’on se rappelle alors que ce Verdi d’avant, un compositeur, certes moins subtil là que dans ses œuvres de vieillesse, les Otello, les Falstaff, que ce Verdi de l’époque de la Révolution italienne savait, comme dans la scène d’ouverture de Senso de Visconti, toucher ses compatriotes et les galvaniser pour des emportements autres que musicaux… « Viva V.E.R.D.I ! »…

Ce sont ces sensations que l’on vient chercher à l’opéra, lorsque l’on veut moins s’adresser à l’intellect que ressentir des frissons parcourir notre épiderme. C’est ce plaisir brut que l’on retrouve là, avec ce chef, ce quatuor, ce chœur, tous imprégnés du sang, des tripes et, aussi, du cœur du Verdi des années 1850. Alors oui ! Viva Verdi !

Visuels : © Sébastien Mathé / Opéra national de Paris.

Les 100 ans de la mort de Sarah Bernhardt : célébrations et hommages
La Force qui ravage tout : la nouvelle comédie musicale tout feu tout flamme de David Lescot
Paul Fourier

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration