Un Barbier pétillant de jeunesse à Bordeaux
Un an après le Théâtre des Champs Elysées, avec lequel il coproduit le spectacle, l’Opéra national de Bordeaux met à l’affiche le Barbier de Séville réglé avec imagination par Laurent Pelly, aussi irrésistible que le plateau de jeunes chanteurs placé sous la baguette alerte et savoureuse de Marc Leroy-Catalayud.
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Grand classique du répertoire, Le Barbier de Séville de Rossini semble pourtant inusable, pour peu que le metteur en scène fasse preuve d’imagination. A rebours des lectures littérales et de la foison de transpositions, Laurent Pelly choisit une économie aussi habile que suggestive. A partir d’un décor unique de papier à musique, il décline toutes les situations de l’intrigue de Beaumarchais. Les lignes de portée figurent à merveille le grillage du balcon de Rosina, cette barricade sans effet que l’ingéniosité de la pupille et ses alliés détourneront, et sur laquelle Figaro notera les trois premières notes de La Précaution inutile, sous-titre de l’opéra de Rossini, qui servira pour la scène finale : le stratagème sera consommé. On retrouve dans la direction d’acteurs et le maniement des chœurs, toujours très au fait du genre lyrique, le système Pelly, aux effets comiques et parfois attendus. Les lumières de Joël Adam, ponctuées de rares lampadaires un peu dolce vita, ne cèdent pas à la tentation du bariolage bouffe.
Mais ce spectacle finalement assez sobre, intelligent, plus qu’inventif sans doute ça et là, vaut d’abord pour le plateau de jeunes chanteurs réunis dans chacune des deux distributions. Dans la seconde, pour la dernière représentation, Anas Séguin récolte à juste titre tous les suffrages dans une incarnation portée par une voix généreuse, et une présence scénique irrésistible, un peu enclin à un cabotinage au fond attachant. Voix bien galbée de mezzo au médium rond, Adèle Charvet réserve une Rosina délicieusement mutine, d’une homogénéité sans faille tout au long de la soirée. Elgan Ll?r Thomas ne manque pas d’éclat solaire en Almaviva, et ne renonce pas à l’Everest du « Cessa di piu resistere », souvent coupé pour cette raison, même si les aigus et les vocalises témoignent d’un régime qui n’a pas épargné les cordes. Thibaut de Damas souligne, avec le monochrome des tessitures basses juvéniles, mais non sans valeur, l’égoïsme barbon de Bartolo, quand Mikhail Timoshenko assume un Basilio à la juste saveur. Julie Pasturaud réjouit avec le numéro de Berta, tandis que Romain Dayez possède la carrure suffisante pour Fiorello.
Préparés par Salvatore Caputo, les chœurs répondent à l’appel de la faconde rossinienne que Marc Leroy-Catalayud fait vibrer dans une fosse rehaussée au niveau baroque. Rythmes et couleurs se font plus acérés, l’ironie plus mordante, sous une baguette d’une grande vitalité, sans répit. Moyennant quelques teintes ça et là un peu vertes dans les pupitres, l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine rend justice à la fraîcheur inaltérable d’une partition qui ne vieillit pas, quand on la joue avec une jeunesse renouvelée. Du grand répertoire, mais pas de routine : l’Opéra de Bordeaux connaît la recette qui réjouira les oreilles les plus désabusées.
Le Barbier de Séville, Rossini, mise en scène : Laurent Pelly, Opéra national de Bordeaux, Grand-Théâtre, février 2019
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