À l’Opéra Bastille, grâce à un duo de chanteurs quasi-idéal, l’Elixir d’Amour de Laurent Pelly agit aussi sur le public !
La mise en scène créée en 2006 pour l’opéra de Donizetti en est à sa sixième reprise, mais c’est toujours avec bonheur que l’on retrouve cette ambiance de comédie italienne des années 1950. En Adina et Nemorino, Lisette Oropesa et Vittorio Grigolo rivalisant de drôlerie et d’émotion ont réussi à rendre euphoriques une majorité de spectateurs.
Un petit village italien entouré de champs et écrasé de soleil, une trattoria sur la place du bourg, une pyramide de bottes de foin servant à la fois d’espace de jeux et d’amphithéâtre : les décors simples et efficaces de Chantal Thomas fleurent bon l’Italie campagnarde des années 50/60. Tout est réaliste comme le cinéma de ces années-là, mais tout est aussi poésie et bonne humeur, avec des gens et des plaisirs simples : bronzer, rouler en mobylette, observer les aventures sentimentales des uns et des autres dans ce coin où tout le monde se connait. Justement, Adina et Némorino se connaissent bien et sont sans doute amis d’enfance. L’une, plus instruite, est aussi plus fière, elle aspire à une belle et grande histoire d’amour comme dans ses livres et à un mariage qui la sortira peut-être de son coin reculé.
L’autre est un brave garçon paysan un peu timide, mais à la saine franchise et plein d’un amour idéalisé pour celle qui est sans doute son modèle féminin. Comme souvent c’est d’ailleurs que viendra l’aventure, avec l’arrivée dans le village du charlatan Dulcamara, habile bonimenteur dans cette époque de commerçants itinérants et de Belcore, sergent recruteur d’une armée qui ne fait pas bien peur. Némorino croira grâce à Dulcamara et son élixir trouver la recette miracle pour gagner le cœur de l’indifférente villageoise. Belcore servira lui à Adina, piquée dans son amour-propre, de prétexte pour se venger de son amoureux qu’elle croit un moment insensible à son charme.
La mise en scène de Laurent Pelly est un miracle de drôlerie et de poésie et même si on l’a déjà vue depuis sa création avec plusieurs intéressantes distributions (Netrebko/Castronovo, Alagna/Kurzak), le public ne s’en lasse pas. On sent que le metteur en scène est attentif au moindre détail et les jeux d’acteurs sont précis, même pour les personnages secondaires silhouettes des ensembles. Le ballet des vaporisateurs d’élixir et le manège des assistants du docteur sont autant de détails comiques, mais les étoiles dans le ciel d’été ménagent aussi de magnifiques instants de poésie.
L’œuvre et la mise en scène sont complètement portés dans cette reprise par un duo d’acteurs/chanteurs d’une exceptionnelle aisance, tant vocale que scénique. Le ténor italien Vittorio Grigolo, qui avait déjà interprété ce rôle avec Pelly à Londres, trouve en Némorino un de ses meilleurs rôles. C’est un comédien roublard, au comique naturel qui sait trouver la bonne posture sans jouer le benêt. Il fait le show jusque dans les saluts finaux, encourageant le public à applaudir plus fort comme un bateleur de foire. Sa voix de ténor agréable et facile se laisse parfois aller à quelques épanchements, mais il sait aussi la maitriser pour de subtils pianissimos : son interprétation délicate du tube « Una furtiva lagrima » emporte l’adhésion du public qui lui fait un triomphe.
Après sa remarquable et remarquée prise de rôle en Marguerite de Valois dans Les Huguenots au mois de septembre, Lisette Oropesa conquiert à nouveau le cœur du public parisien avec le rôle d’Adina, qu’elle connaissait mais n’avait jamais interprété à la scène. La soprano américaine prouve ici qu’elle est aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame. Elle s’affirme ainsi, après Lucia di Lamermoor, comme une des meilleures interprètes actuelles du belcanto italien. Sa maitrise du souffle et son aisance vocale, tant dans les vocalises que dans les sons filés n’ont d’égales que la présence charmante et le naturel comique de son jeu. Elle est une Adina piquante et touchante, moins « bitch » que dans la conception du rôle qu’elle nous exposait dans sa récente interview. Quel Nemorino n’aurait pas succombé ?
À l’aise scéniquement, le Dulcamara de Gabriele Viviani, sans démériter, reste en deçà de l’interprétation du couple vedette. La voix est franche et claire et les vocalises faciles, mais la projection semble un peu limitée. Il a aussi l’inconvénient de reprendre le rôle après la prestation remarquable d’Ambrogio Maestri qui l’avait durablement marqué de sa présence et de son amplitude vocale dans les années passées et dont l’interprétation a été gravée en DVD.
Etienne Dupuis, baryton canadien est un Belcore séducteur latin, hâbleur et sûr de lui. Son joli timbre de baryton fait merveille, même s’il est parfois un peu dominé vocalement par ses partenaires. On le retrouvera certainement avec plaisir dans le rôle d’un autre séducteur, Don Giovanni, qu’il interprètera en 2019 à l’Opera de Paris.
En Giannetta, rôle modeste, Adriana Gonzalez, jeune soprano guatémaltèque issue de l’Atelier Lyrique de l’Opera de Paris tire très bien son épingle de la gigantesque meule de foin grâce à une très belle présence et un joli timbre lumineux.
Les chœurs très en place et bien investis se fondent complètement dans l’ambiance générale de comédie bienveillante et contribuent au succès de la mise en scène, notamment dans la scène d’entrée de Dulcamara.
Enfin le chef Giacomo Sagripanti, familier de ce répertoire, dirige l’ensemble d’une baguette alerte et précise, et toujours attentive à l’équilibre entre le plateau et la fosse.
Alors notre prescription pour oublier la grisaille automnale ambiante : allez vite prendre un dose d’Elixir à l’Opéra Bastille jusqu’au 25 novembre !
Visuel : ©Guergana Damianova pour ONP