Danse
Tu danses ou je t’explose ? : le popping vu par Anthony Egéa

Tu danses ou je t’explose ? : le popping vu par Anthony Egéa

25 January 2023 | PAR Cedric Chaory

Revenir au geste fondateur, celui « précieux, personnel » encore jamais porté au plateau, Anthony Egéa se l’autorise enfin avec Explosion, ode au popping qui réinvente dans une variation sur le même thème (qu’on aurait aimé plus exploratoire) un mouvement funky des plus festifs.

Cypher, freestyle … popping

Le popping est dans l’ADN du chorégraphe bordelais depuis 1984 mais de la vingtaine de créations signées pour sa compagnie Rêvolution pas de trace de contraction propre au genre. Il aura fallu attendre One Man Pop (créé au printemps 21) pour que s’immisce subrepticement dans son répertoire le style funk imaginé par les américains d’Electric Bungaloos, fin 70’s.

Explosion s’ouvre sur le rassemblement d’un groupe d’interprètes. Sur un plateau nu composé uniquement d’une estrade qui accueille les platines d’un DJ à venir et d’un dispositif d’éclairages usités dans les battles, les 8 interprètes s’échauffent au son échappé d’un ghettoblaster imaginaire. Ils se toisent en même temps qu’un cypher se dessine sur un plancher sommaire de lattes de bois. Cette scène de vie urbaine typique, presque archétypale, se joue dos au public (dans une salle encore éclairée). Puis DJ MOFAK (GodFather français du G-Funk) s’extrait du groupe pour rejoindre ses platines. Les lumières de la salle se tamisent, place à la déflagration.

Immanquablement old school, le premier mouvement d’Explosion revisite les figures-types du popping. Tout y passe : contraction, roboting, tutting, walkout et autre gliding… on assiste là au revival de l’émission la plus cool de la télévision Soul Train. Chaque interprète y va alors de son talent singulier, avec virtuosité et swag imparable. La fusion danse/musique est à son plus haut point mais déjà des discordances se font ressentir en même temps que le cercle se dilate. Car Anthony Egéa le sait : claquemurer dans une boîte noire un battle popping ne fait pas sens. Si vous l’emmener au plateau, il vous faut questionner ce geste. « Le triturer » comme le chorégraphe le dit lui-même.

Y voir l’âme des gens, leur peur, leur force

Débute alors le second mouvement d’Explosion où le mouvement se fait plus ample, les visages souriants du début plus neutres. A la virtuosité un brin mécanique succède une humanité faîte de tâtonnements et de souffles. On remise sa singularité (son style, sa patte qu’on avait soigneusement travaillé) pour oser faire communauté à travers un très bref passage à l’unisson. Un danseur s’avance sur le proscenium pour y prendre la parole. « On sait que quand les danseurs prennent la parole ce n’est jamais très brillant » annonce t-il dans un préambule malicieux. Effectivement, sa prise de parole est à l’image de sa danse : parcourue de contractions. L’effet est irrésistiblement drôle, la prestation délectable. « Le popping vous permet de voir l’âme des gens, leur peur, leur force … » hoquette-t-il. Il oublie aussi leur humour.

Sans réelle transition, Explosion revient à sa forme originelle de la battle. Les interprètes interpellent le public en leur enjoignant de frapper dans les mains au même rythme que les beats lourds et réguliers de DJ MOFAK. Si pour le grand plaisir du public, Explosion s’inscrit à nouveau dans le côté festif du rassemblement freestyle avec son cortège d’harangue et d’applause, on ne peut s’empêcher de trouver la trituration du geste popping bien trop courte. Le deuxième mouvement de la pièce nous emmenait vers un ailleurs. Un ailleurs des plus inventif. Pourquoi alors ne pas avoir creusé un peu plus le sillon de l’unisson, jouer de sa déconstruction, questionner plus en avant l’intergénérationnalité d’une troupe de haute volée ? Anthony Egea avait bien d’autres pistes à explorer quant au geste pop avant de revenir au cypher final qui enflamma le public poitevin ovationnant la première d’une pièce empreinte de trop furtives explosives mélancolies.

Cédric Chaory

Tournée : 24 février 2023 Théatre de Gascogne  Mont-de-Marsan ; Du 14 au 17 mars Opéra national de Bordeaux ; 16 mai 2023 Limoges ; 12 septembre 2023 Scène nationale du Sud-Aquitain – Bayonne

©Pierre Planchenault

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